Pasteurs, wedding planners ?

Pasteurs, wedding planners ?

Comment accueillir et habiter une « vocation pastorale » ? Il me semble que les évocations imagées peuvent s’avérer d’une grande utilité pour tenter de dessiner les contours d’un ministère enraciné et en proie à certaines évolutions. Si les images classiques sont bienfaisantes, avec ces quelques lignes, j’aimerais proposer une autre image : celle du wedding planner, ce chef d’orchestre des mariages. Conscient de l’incongruité apparente de mon propos, je vais tenter d’esquisser pour vous quelques pensées autour de cette proposition d’image avec la lecture d’un texte (Ep 4.1-3,7,11-13) en arrière-plan.

Wedding planner, pasteur, une mission bien fondée ?

Je ne sais pas si la mission de wedding planner est le fruit d’une vocation particulière. En tout état de cause, cette « nouvelle mission » a vu le jour pour répondre à un « nouveau besoin de facilitation » qui se décline dans la satisfaction de multiples besoins. En tant que pasteur, discrètement, le plus souvent, Dieu tissait son appel, nous aidant à l’entendre et à y répondre. Pour autant, nous sommes souvent, confrontés à de « nouveaux besoins » dans notre ministère, multiples et variés, qu’il convient d’accueillir, de discerner. Sans nul doute, cette « nouvelle mission » de chef d’orchestre qu’est le ou la wedding planner nous pousse à questionner notre ministère face « aux besoins » d’une société en évolution, d’une Église en mutation.

Si les fondamentaux sont bien là (accompagnement, enseignement, direction), quels sont les nouveaux besoins qui apparaissent dans nos communautés qui pourraient orienter, à tort ou à raison, notre ministère en lui donnant une coloration nouvelle ? Quelles seraient ceux face auxquels il nous faudrait nous adapter ou résister ? Pour y répondre, il me semble qu’il faut bien rester enraciné dans notre vocation divine et sa finalité, en communion « avec celui qui vous a adressé cet appel ». La lettre aux Éphésiens nous donne quelques pistes d’un cadre bienfaisant et clair : notre vocation vise à répondre au besoin de « formation des saints » (v.12a), pour qu’ils « soient rendus aptes à accomplir leur service » (v.12b), pour, in fine, « la construction du corps de Christ » (v.12c). Dès lors, se consacrer à tous les « besoins » inépuisables, inimaginables ? Certainement pas, un nécessaire discernement est à opérer étant donné que notre vocation va au-delà de la simple satisfaction de besoins.

Un savoir être au diapason de notre vocation

Dans le cadre de la mission du wedding planner, un certain nombre de savoir-être, qui se veulent au diapason de la mission définie, sont déclinés. Pour nous autres pasteurs ou responsables d’Église, il est intéressant de noter que Paul déploie « une conduite en dignité de notre vocation » (Ep 4.2) non sans lien avec le wedding planner.

La douceur de l’écoute

Le wedding planner accueille « envies, critères, contraintes et budget » et ce sans prendre de décision puisqu’il ou elle est là pour « accompagner et non pour imposer ses choix ! ». « Accueillir, accompagner, sans imposer ses choix », autant d’impératifs qui nous interpellent peut-être. Autant l’accueil et l’accompagnement semblent aller de soi, autant la dernière expression questionne notre pratique pastorale : ne pas décider « à la place de ». Bien sûr, il nous arrive dans notre accompagnement de suggérer, conseiller mais, ne sommes-nous pas aussi parfois tentés, convaincus de détenir la bonne orientation à adopter, d’aller un peu au-delà ?

L’élan de conseil pastoral demeure bien à propos, étant le fruit d’une expérience, d’une illumination de l’Esprit. Cela dit, souvent il est bien préférable que notre frère, notre sœur, chemine elle-même dans son discernement. Reconnaissons-le, nous ne sommes pas toujours inspirés et, plus encore, il se peut que ses « égarements » fassent parties de son chemin de maturité. Notre posture consistera alors plus en cette écoute active bienfaisante et gratuite.

L’humilité constante de la patience

À l’instar du wedding planner, ne sommes-nous pas souvent les interlocuteurs uniques, spécifiques, soumis au secret professionnel, de nos frères et sœurs aux « injonctions », aux « contraintes » multiples ? Qu’il serait alors tentant de se faire un peu trop « tout à tous », en cédant à l’illusion de la toute-puissance épuisante et envoutante.

Qu’il est, au contraire, salutaire de rester au creuset de sa vocation dans une humilité sereine, en faisant preuve d’une patience résolue. De celle qui s’interdit de poursuivre la perfection d’un pasteur aux mille visages. La vocation pastorale ne consiste pas en un abandon de soi pour se noyer dans les multiples attentes, mais en un véritable largage des amarres, dans une fraiche et bienfaisante liberté à la suite du Christ. Et ce, dans une humilité responsable et assumée qui reconnait ses limites et celles des autres pour composer, faciliter, soutenir.

Le soutien indéfectible

Si le ou la wedding planner se trouve enjoint à « faciliter à tout prix et à faire gagner du temps » aux jeunes époux, je n’ose imaginer ce qui peut s’entendre, se vivre. Alors, de la patience, et la capacité de soutenir, d’accompagner ces jeunes époux peut parfois avoir un goût amer. Certainement, conscient qu’il s’agit là de sa mission rémunérée, soumis à une obligation de résultat, le wedding planner doit certainement sourire, ronger son frein, en se pliant aux désidératas des époux…

Le pasteur, s’il consacre sa vie aux autres, le fait, le plus souvent rémunéré, sans en faire la finalité de sa mission. Il est, lui, soumis à une obligation de moyen, en faisant tout pour que sa mission réussisse, s’en remettant à Dieu pour les résultats. Le moyen, c’est celui de l’amour. Laisser un frère une sœur vivre selon ses désidératas n’est pas toujours faire preuve d’amour. Il convient parfois, au contraire d’un wedding planner, de donner son avis, discuter l’opinion, redresser un tort dans un soutien inconditionnel.

Dans les coulisses, des difficultés – « Efforcez-vous » (v.3)

Un point commun avec le wedding planner, à mon sens, est que le pasteur œuvre en partie dans les coulisses de la communauté. Ainsi, discrètement, secrètement, il s’efforce avec d’autres de nourrir le lien de l’unité pour qu’elle soit féconde. Il voit et connait souvent les « coulisses » de la communauté, avec ses déboires et ces écueils. Comme le WP qui fait face aux défections possibles, aux tensions relationnelles, le pasteur est souvent le témoin du désengagement de certains, des blessures existentielles, des « lâchetés » relationnelles, des difficultés de tous ordres (2 Tm 3.10-12).

Dans ces coulisses, il nous faut donc, au carrefour de vies au pluriel :

  • Faire avec les différences de visions (la nôtre et celles des autres) de ce qu’est, devrait être le ministère, l’Église ou la mission.
  • Accepter d’être confronté, sans y céder, aux « injonctions » plus ou moins légitimes d’une communauté qui attend que nous incarnions quelque chose loin de ce que nous sommes, de nos aspirations.
  • Nous efforcer, avec ces « tensions multiples » (la vie prioritaire de notre famille, celle de notre communauté, du conseil) de « conserver » l’unité, la cohérence de nos vies, éclairées par notre vocation spécifique.
  • Accepter de rencontrer des temps de désert, lieu de silence, et d’y laisser certainement des feuilles. L’horticulteur divin se saisissant de cette opportunité pour nous changer, nous (re)construire.
  • Puiser, dans nos solitudes cachées, en celui qui scrute nos cœurs, l’huile qui réchauffe notre vocation, le vent qui donne du souffle à notre consécration. Et ce, avec un sage équilibre, toujours en tension, entre les différentes composantes de notre vie.

Cela étant dit nous sommes aussi, souvent, en coulisse, les témoins émerveillés et spectateurs privilégiés des œuvres du Seigneur. Alors, il nous faut dans une humilité débordante, accepter que notre ministère se vive dans les coulisses. Et si tout se passe bien, il n’est pas sûr que nous en recevions éloges et reconnaissances, tandis que si au contraire il y a quelques cailloux, déceptions, il y a de fortes chances que nous en soyons les réceptacles privilégiés !

Un mariage grandiose

Qu’il est bienfaisant de se rappeler le mariage grandiose que nous contribuons à préparer, le plus somptueux, celui d’un Autre, évoqué par Paul (Ep 5.25-27). Un mariage qui a coûté cher (la vie de l’époux divin) pour que son épouse soit apprêtée (« purifiée »). Si le wedding planner ne peut compter que sur ses ressources (expérience, carnet d’adresses, capacités), l’époux divin nous fait ce privilège : nous donner à son Église en nous offrant les capacités d’organiser ses noces (Ph 2.13, 4.13 ; Ep 23.20-31).

Alors certainement, finalement, cette comparaison a ses limites. Elle n’est que peu académique, habituelle. Mais en même temps, en lisant Ap 19 et cet appel « Réjouissons-nous […] car les noces de l’agneau sont venues, et son épouse s’est préparée » (v.7), quelle saveur incroyable est donnée à notre ministère, nous qui participons, dans l’attente de ce jour incroyable, à la préparation des noces de l’Agneau !

 

« l’Église dans tous ses états », une rubrique en partenariat avec Les Cahiers de l’École Pastorale

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Les Cahiers de l’École Pastorale est une revue trimestrielle de théologie pratique et pastorale. À travers des articles de fond, des prédications et des présentations de livres, elle oeuvre à faire des ponts entre la théologie et la vie des Églises. Son but est d’encourager les pasteurs, les responsables d’Église et plus largement les chrétiens engagés dans un ministère, à penser et approfondir leur foi et leur pratique au sein de leurs Églises.

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