Quelques réflexions autour de la « nouvelle naissance » et de la « régénération »

Quelques réflexions autour de la « nouvelle naissance » et de la « régénération »

La métaphore de la « nouvelle naissance » est souvent utilisée, en milieu évangélique, pour parler du début de la vie chrétienne. Elle évoque la vie nouvelle que Dieu donne en Jésus-Christ, et est étroitement associée à la conversion. L’expression désigne souvent le moment où une personne se tourne vers Dieu dans la repentance et dans la foi en Christ, soulignant l’action transformatrice de Dieu par l’Évangile. On parle aussi dans le même sens de la « régénération » que l’Esprit de Dieu opère dans le cœur. Les deux expressions sont tirées du vocabulaire biblique : la nouvelle naissance est particulièrement liée à l’échange entre Jésus et Nicodème (Jn 3), où Jésus affirme à son interlocuteur qu’il lui faut « naître d’en haut », ou « naître de nouveau » pour entrer dans le Royaume de Dieu. C’est de la même racine, dans l’original, que vient le terme de régénération utilisé dans les épitres (Ti 3.5 ; 1 Pi 1.3 ; 23). Le passage d’une simple « expression biblique » à une notion plus théologique nécessite de réfléchir à ce qui se joue lorsqu’on parle de « nouvelle naissance »… Or, comme nous le verrons, « penser » la nouvelle naissance implique de la situer d’emblée en rapport avec l’ensemble de l’action de l’Esprit dans l’existence du chrétien…

La conversion, un moment ?

En théologie évangélique, la régénération ou nouvelle naissance et la conversion sont souvent présentées comme deux aspects d’une même réalité. Du côté de l’action de Dieu, l’Esprit régénère le croyant, alors que du côté de l’homme, celui-ci, à l’écoute de l’Évangile, se détourne des idoles et du péché pour se tourner vers Dieu. On désigne ainsi le point de départ de la vie chrétienne. On note néanmoins que cette approche en terme « d’événement », ou de « moment », peut être nuancée. En effet, dans la tradition protestante, le terme de « régénération » a pu être utilisé par Calvin[1] pour désigner la transformation du croyant tout au long de sa vie. Le thème n’est alors pas sans lien avec ce que l’on appelle la sanctification, l’œuvre progressive de Dieu tout au long du cheminement de foi. Du côté catholique, et, dans une certaine mesure, dans la tradition wesleyenne, la vie est aussi jalonnée de « conversions » dans différents domaines. Le croyant réalise que certains comportements doivent changer pour être plus conformes à l’Évangile. Dans l’expérience, les chrétiens issus de famille chrétienne n’ont par ailleurs pas forcément souvenir d’un « moment » de conversion, ou de régénération, et beaucoup de croyants font au cours de la vie chrétienne l’expérience d’un renouvellement profond qui modifie de façon décisive leur façon de penser, d’agir ou de vivre…

Cette approche en terme « d’événement », ou de « moment », peut être nuancée

Un moment… articulé à d’autres ?

On ne peut donc penser la nouvelle naissance qu’en articulation avec l’ensemble de l’existence chrétienne. Plus précisément, il est important de ne pas séparer les dimensions « ponctuelles » et « processuelles » de la vie chrétienne : les moments forts ne surgissent pas du néant, mais sont aussi le fruit d’un cheminement, et d’une œuvre moins perceptible de l’Esprit. Louis Berkhof, par exemple, discerne dans sa théologie systématique deux « moments » dans la régénération :

  • Le moment de la « régénération » au sens restreint (« begetting again » ; « engendrement à nouveau »), cette action secrète de l’Esprit dans le cœur du croyant, qui contient en et par lui-même l’assurance de son déploiement manifeste…
  • … déploiement manifeste qui constitue le second moment, celui de la « nouvelle naissance » (« new birth ») où la régénération produit son fruit manifeste dans la repentance, la conversion et la foi[2].

On ne peut donc penser la nouvelle naissance qu’en articulation avec l’ensemble de l’existence chrétienne

Ainsi, pour Berkhof, la « nouvelle naissance » est l’effet d’une cause qu’est la « régénération » au sens restreint. Ce que notre langage habituel utilise souvent de façon synonymique s’élargit dans le temps en deux « moments » qu’il convient de distinguer « en raison » (dans la pensée). Il est en effet intéressant de noter qu’en étudiant de plus près, de façon théologique, l’image biblique de la régénération, l’identification du « moment précis » de l’action de l’Esprit devient plus difficile : cette « action secrète » de l’Esprit n’est pas forcément repérable précisément dans le temps, et ne peut être affirmée qu’après coup, une fois son fruit manifeste et visible dans la vie du croyant. La réflexion théologique fait ici office de microscope en mettant en lumière des éléments que l’on n’identifierait peut-être pas à première vue.

Un processus… relationnel

Ainsi, la « nouvelle » naissance relève elle-même d’un processus. Les théologiens ont d’ailleurs souligné l’importance de l’action de l’Esprit qui précède la régénération, préparant le cœur à cette transformation. On parle de l’action « prévenante » de l’Esprit qui, agissant de manière infiniment variée, souvent imperceptible sur le moment, prépare le chemin de la nouvelle naissance. Cette action divine, qui est plutôt un ensemble d’actions, relève d’un processus dont la nouvelle naissance est, plus qu’un aboutissement, la première étape visible vers le déploiement d’une existence nouvelle. La métaphore de la régénération suggère le passage d’un état de mort spirituelle, en raison du péché, à la vie nouvelle en Christ par l’Esprit (Eph 2.1s). Il me semble qu’il faut encore préciser un peu. La vie nouvelle qui est « donnée » au croyant n’est pas une « chose » que l’on reçoit indépendamment du donateur. La vie donnée est indissociable de l’Esprit Saint qui est donné. Et l’Esprit Saint est l’Esprit du Père et du Fils. Autrement dit, ce qui est au cœur de la régénération, c’est moins la « chose » reçue que l’union avec Christ établie par l’Esprit. La vie nouvelle est en réalité la manifestation du lien vital à Christ établi par l’Esprit au moyen de la foi.

Ce qui est au cœur de la régénération, c’est moins la « chose » reçue que l’union avec Christ établie par l’Esprit

Cette précision n’est pas qu’une fantaisie de théologiens tentés de couper les cheveux en quatre. Elle nous invite à orienter nos pensées vers Christ. Les bienfaits obtenus en et par Christ (la paix avec Dieu, ses dons etc) sont directement dépendants du fait que nous soyons unis à Lui. Ce qu’il y a de plus précieux, c’est bien ce lien, cette relation constitutive qui nous unit à Christ, relation unique (ni fusion, ni simple association) et distinctive de la foi chrétienne. Plus que l’ordre temporel, ou même que les (nombreux) bénéfices de la nouvelle naissance, c’est cette relation constitutive et personnelle qui importe, nous permettant d’affirmer avec audace que nous sommes « nés de Dieu » (1 Jn 3.9-10), et qui permet la transformation – progressive ou dramatique – de la vie. Si Paul recourt largement au thème de l’adoption filiale, rappelant que nous sommes fils et filles du Père en devenant frères et sœurs du Fils unique, Jean fait de notre relation filiale à Dieu par la foi une (nouvelle) relation d’origine : c’est « de Dieu » que nous sommes nés, insistant sur la dimension « vitale » du lien établi. Cet aspect est important parce que ce n’est pas simplement notre « transformation », comprise isolément, qui nous permet de progresser dans notre ressemblance à Christ. Par l’Esprit, Dieu ne fabrique pas simplement un homme qui serait une « meilleure version » de lui-même. Ce qu’il réalise, c’est notre union à Christ, vrai Dieu et vrai homme, et c’est la communion à Christ par l’Esprit elle-même qui est transformatrice.

Par l’Esprit, Dieu ne fabrique pas simplement un homme qui serait une « meilleure version » de lui-même

Réfléchir théologiquement au thème de la régénération nous permettra entre autres d’éviter des formules malheureuses, quand on parle par exemple de « la part de Dieu » et « la part de l’homme » dans la vie de salut, comme si nous continuions à vivre de façon séparée. Si le « moteur » de la vie de foi est l’union à Christ par l’Esprit, cette formule perd tout fondement : par son Esprit en nous, Dieu est, de façon première, et à 100%, acteur de notre existence chrétienne. Étant unis à Christ, nous sommes, de façon seconde, 100% impliqués dans nos choix et notre manière d’être en réponse à l’Esprit. Une « part de l’homme » hors de cette union n’a pas de sens : séparé de Dieu, c’est le péché et la mort. Plutôt que de considérer séparément l’action divine et la réponse humaine, il paraît plus ajusté de les comprendre dans le cadre de la relation d’union établie dans le temps par une action de Dieu qui ne laisse pas l’homme inerte…

[1] Institution de la Religion Chrétienne, Aix-en-Provence et Marne-la-Vallée, Kerygma et Farel, 3.3.9.

[2] Louis Berkhof, Systematic Theology, Londres, Banner of Truth, 1941, pp.465-479.

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