Réhabiliter la mission dans la Bible et l’Église : une lecture missiologique de la Bible ?

Réhabiliter la mission dans la Bible et l’Église : une lecture missiologique de la Bible ?
McTair Wall
Auteur:

Lire la Bible de façon missiologique

Depuis plus de dix ans, je m’intéresse à un nouveau champ de recherche qui est devenu une sous-discipline de la missiologie. Il s’agit de la lecture missiologique des textes bibliques, en anglais missional hermeneutics (« herméneutique missionnelle » ou plutôt « herméneutique missiologique »). Je savais que des missiologues travaillaient sur le sujet dans le monde anglophone, mais j’ai aussi constaté qu’il était nécessaire d’aborder le sujet à partir des textes bibliques eux-mêmes, et de le faire dans le monde francophone. J’ai commencé par faire un mémoire de master de recherche en m’intéressant à la manière dont le mandat missionnaire de Luc 24.44-49 était formulé en s’appuyant sur l’Ancien Testament. Je me suis demandé si Luc n’était pas en train de lire l’Ancien Testament de manière messianique et missiologique, comme Christopher Wright le suggère dans La mission de Dieu (2006). Cette première approche du sujet m’a ouvert les yeux : le projet missionnaire de Dieu – faire connaître son salut à tous les peuple – traverse la Bible entière. Cela m’a donné envie d’aller plus loin. J’ai donc rédigé une thèse sur ce sujet. Elle fait dialoguer cette lecture missiologique de la Bible, avec la façon dont Luc lit l’Ancien Testament dans la construction de sa théologie et de sa pratique missionnaires.

Le projet missionnaire de Dieu – faire connaître son salut à tous les peuple – traverse la Bible entière.

Témoins du Christ dans un monde postchrétien

Ayant passé une partie importante de mon ministère missionnaire « sur le terrain », mon intérêt pour ce sujet n’était pas simplement académique. Je voulais voir comment les textes bibliques pouvaient donner forme à l’implication missionnaire du peuple de Dieu. En fait, le contexte postchrétien, voire post-séculier dans lequel nous vivons actuellement en Occident soulève la question de la mission de l’Église : comment le peuple de Dieu peut-il redécouvrir sa vocation de témoins de Jésus dans ce contexte ? Les spécialistes de la mission travaillent sur cette question depuis que le grand théologien Lesslie Newbigin a tiré la sonnette d’alarme dans les années 1960 (par exemple dans Une religion pour un monde séculier, publié en 1967). Plusieurs efforts ont ainsi été déployés pour faire face au nouveau contexte du témoignage chrétien.

La « mission de Dieu »

C’est ainsi qu’est née une nouvelle théologie de la mission, basée sur la notion de « mission de Dieu ». La théologie classique de la mission était devenue trop « ecclésiocentrique » et trop « anthropocentrique ». Il s’agissait de recentrer l’entreprise missionnaire sur la personne du Dieu trinitaire et sur son projet de salut pour toutes les familles de la terre. Ensuite, cette théologie de la mission de Dieu a donné naissance au mouvement de la missional Church (« l’Église missionnelle »), qui affirme le caractère foncièrement missionnaire de l’Église, sa « missionalité ». Au lieu de simplement concevoir la mission comme une activité ou une ligne budgétaire de l’Église, il s’agissait de rapprocher l’identité même de l’Église de sa raison d’être dans le monde.

La lecture missiologique de la Bible

Dans le sillage de ce renouveau missiologique, on a enfin proposé une nouvelle approche des textes bibliques : une lecture missiologique. C’est en particulier à Christopher Wright et à d’autres spécialistes de la mission et des sciences bibliques qu’on doit cette évolution. Pour faire bref, il s’agit de redécouvrir les textes bibliques à travers ce « filtre » : Dieu est en mission dans le monde avec son peuple. Cette lecture soulève certes quelques questions, mais elle peut être utile pour aider l’Église à redécouvrir sa véritable nature missionnaire et sa vocation missionnaires.

Dieu est en mission dans le monde avec son peuple.

Les fondements bibliques

Reste la question des fondements bibliques d’une proposition d’une telle envergure, fondements indispensables à une missiologie réellement évangélique. De toutes les pistes de réflexion intéressantes, retenons-en deux pour le moment. Premièrement, de plus en plus de biblistes s’intéressent aux textes bibliques comme des « documents de mission », notamment le Nouveau Testament. Par exemple, le grand spécialiste néotestamentaire Martin Hengel estime que « l’histoire et la théologie du christianisme primitif sont une “histoire de la mission” et une “théologie de la mission” »[1]. I. H. Marshall fait le même constat dans sa théologie du Nouveau Testament, à la suite de David Wenham qui voit au cœur de la théologie du Nouveau Testament la « mission divine au monde »[2]. À partir de là, on peut se demander : pour faire justice aux textes bibliques, ne faudrait-il pas prêter plus d’attention à leur dimension missionnaire ?

Le projet formateur de la Bible

D’autres s’intéressent au but formateur de la Bible. Pour eux, cette intention fait partie de la dimension missionnaire des textes bibliques. Ils estiment que les textes ont été écrits, entre autres, pour former le peuple de Dieu en sorte qu’il soit le témoin fidèle de l’unicité de Dieu et son projet de salut. Lorsqu’il écrit l’Évangile de Luc et le livre des Actes à Théophile, Luc raconte le dessein de Dieu qui se réalise dans la mission de Jésus et trouve son prolongement dans le témoignage des disciples. Luc le fait non pas simplement pour informer Théophile et sa communauté de ce qui s’est passé, mais aussi pour les former, afin qu’ils prennent leur place à la suite de Jésus et des premiers disciples dans la réalisation du dessein de Dieu. En fait, Luc montre que Dieu a toujours eu l’intention d’apporter le message de son salut à tous les peuples (Ac 15.18). Et cette mission doit continuer avec Théophile et sa communauté dans leur génération. L’œuvre de Luc vise donc à équiper l’Église pour sa mission. On peut aussi remarquer que les épîtres de Paul ont pour objectif de former le peuple de Dieu, entre autres, à témoigner de l’œuvre transformatrice de Dieu en Jésus-Christ par son Esprit. Les croyants auxquels Paul écrit sont en mission avec Dieu, en vue d’un témoignage qui donne corps à la Bonne Nouvelle du salut de Dieu. Ils sont aussi invités à imiter Paul en se faisant « tout à tous » afin de gagner d’autres à Christ (1 Co 9.16-11.1).

Les croyants auxquels Paul écrit sont en mission avec Dieu, en vue d’un témoignage qui donne corps à la Bonne Nouvelle du salut de Dieu.

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Ces quelques perspectives vous auront, je l’espère, convaincu qu’une lecture missiologique des textes bibliques a du potentiel. Elle peut aider l’Église non seulement à renouveler sa lecture de la Bible, mais également à renouveler sa vision missionnaire et à mieux former les croyants en vue d’une meilleure implication dans la mission de Dieu.

[1] Martin Hengel, « The Origins of the Christian Mission », dans Martin Hengel, Between Jesus and Paul. Studies in the Earliest History of Christianity, SCM, 1983, p. 64.

[2] Voir Marshall, New Testament Theology. Many Witnesses, One Gospel, IVP, 2004, p. 34-37 ; David Wenham, « Appendice. Unité et diversité dans le Nouveau Testament », in George E. Ladd, Théologie du Nouveau Testament, Excelsis, 2010, p. 686.

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