Traductions de la Bible : légitimité et limites

Traductions de la Bible : légitimité et limites
Robin Reeve
Auteur:

Le prédicateur brandit sa bonne vieille Bible Louis Segond et clame à son auditoire : « C’est sur la Parole de Dieu que je tiens dans ma main que je fonde ma foi ! » Que penser de son affirmation ? Une version de la Bible est-elle la Parole de Dieu ? Sinon, doit-on seulement la lire en hébreu, en araméen et en grec ? Telle traduction est-elle la seule « bonne », comme le prétendent certains chrétiens ?

Je nous propose ici quelques pistes de réponses à ces questions.

Traduire la Bible est une démarche légitime

Le meilleur témoignage en faveur de la traduction de l’Écriture… est l’Écriture elle-même.

Ainsi le Nouveau Testament est-il rédigé en grec, lingua franca de l’Empire Romain, pour que le message de l’Évangile touche le plus grand nombre de personnes. Ses auteurs y traduisent leurs citations de la Bible hébraïque en grec. Auparavant, dès le 2e s. av. J.-C., les Juifs du monde hellénique ont traduit l’Ancien Testament hébreu en grec, aboutissant à plusieurs versions : cette démarche a été en quelque sorte validée par les auteurs du Nouveau Testament, qui reprennent souvent une de ces versions rassemblées sous le nom de « Bible des Septante ».

Jésus, lors de sa crucifixion, cite le Psaume 22 en araméen (Mt 27.46 et Mc 15.34), validant la traduction de l’hébreu dans cette langue courante chez les Juifs depuis les temps de l’Empire perse. Les auteurs des deux Testaments font d’ailleurs aussi usage de l’araméen dans plusieurs expressions à caractère théologique, ce qui relativise l’hébreu comme véhicule de la révélation divine.

L’Écriture ne sacralise aucune langue : c’est son message qui compte, quel que soit l’idiome utilisé.

Que, dans la suite de l’histoire, des croyants aient traduit la Bible pour la rendre intelligible à leurs contemporains (par exemple très tôt en arménien, en syriaque et en latin) est une juste application du mandat divin d’annoncer l’Évangile au monde entier. L’Écriture ne sacralise aucune langue : c’est son message qui compte, quel que soit l’idiome utilisé.

Les traductions doivent toujours être révisées

Nées dans des contextes particuliers, les versions de la Bible doivent être constamment revues : les langues évoluent, le vocabulaire change. Ainsi l’ancienne version Segond use parfois du terme « charité » pour désigner l’amour, ce que font encore les traductions catholiques. Comme aujourd’hui ce substantif évoque surtout l’idée d’actes de bienfaisance, les révisions ultérieures de la version Segond lui ont substitué le mot « amour ».

Les confessions de foi évangéliques parlent ainsi de l’inspiration divine des textes originaux de la Bible, légitimant la critique textuelle et soulignant aussi les limites des traductions

Les confessions de foi évangéliques parlent ainsi de l’inspiration divine des textes originaux de la Bible, légitimant la critique textuelle comparant et évaluant les copies anciennes des textes (personne n’a accès aux originaux) et soulignant aussi les limites des traductions. Élever telle version (par ex. la Vulgate, Martin, Darby ou King James) à un niveau d’inspiration comparable aux originaux est, pour dire le moins, très contestable.

Les traductions Peuvent être fautives

La démarche de traduction, légitime, a aussi des limites. Malgré tous leurs efforts de rendre fidèlement le sens du texte, le travail des traducteurs sera teinté – outre les limites humaines et les représentations propres à chaque culture (certains mots sont difficiles à traduire) – par la corruption du péché, au niveau culturel ou psychologique. L’adage italien : traduttore, traditore « le traducteur est un traître » peut parfois concerner les versions de la Bible !

L’adage italien : traduttore, traditore « le traducteur est un traître » peut parfois concerner les versions de la Bible !

En voici quelques exemples :

Le racisme

Louis Segond a originellement traduit qu’Ésaü était roux (Genèse 25.25), mais que David était blond (1 Samuel 16.12 et 42). Or, en hébreu, l’adjectif commun à ces deux seuls personnages bibliques désigne sans aucun doute la couleur rouge. Les préjugés anti-roux de notre culture occidentale ont donc amené Segond à éviter au roi judéen, personnage positif dans l’histoire du salut, ce trait physique – pas de problème, par contre, pour le mauvais Ésaü !

Les conventions sociales

Le même Segond a traduit le difficile texte d’1 Corinthiens 11.10 : « C’est pourquoi la femme, à cause des anges, doit avoir sur la tête une marque de l’autorité dont elle dépend. » Or le grec a seulement : « une autorité ». Cette traduction force l’idée qu’une femme doive dépendre de l’autorité masculine, alors qu’il pourrait s’agir de l’autorité qu’une femme exerce quand elle s’exprime publiquement. Le poids des conventions sociales du traducteur l’a amené à orienter le texte dans un sens qui l’arrangeait.

La crainte d’une lecture immorale

Certaines versions (par ex. toutes les Segond, Darby et la TOB) traduisent 1 Corinthiens 7.27b-28a, où Paul évoque le mariage et le célibat : « N’es-tu pas lié à une femme ? Ne cherche pas de femme. Si toutefois, tu te maries, tu ne pèches pas… » Or Paul utilise ici un verbe – bien connu des hellénistes, car il sert de paradigme pour la conjugaison du verbe régulier – qui signifie « délier », sans négation. Le grec doit donc être traduit : « As-tu été délié d’une femme ? … » (ce que font la NFC et la King James, par ex.). D’où l’idée d’un mariage après une rupture – et non à partir d’une forme de célibat. La crainte de voir ici une autorisation à se remarier après un divorce, en opposition avec l’interprétation traditionnelle de l’enseignement de Jésus (Mt 19.9 et //), pourrait expliquer les traductions fautives – alors qu’en respectant le texte grec et en connaissant la culture juive, on peut y voir une rupture de fiançailles autant qu’un divorce.

La crainte de voir ici une autorisation à se remarier après un divorce pourrait expliquer les traductions fautives

Les gênes théologiques

L’hébreu de Zacharie 12.10b voit YHWH dire : « [Les habitants de Jérusalem] m’observeront, celui qu’ils ont transpercé ». Or la version de la Septante traduit : « … parce qu’ils ont dansé ». Qu’on puisse tuer ou blesser Dieu a dû heurter la haute idée de la transcendance divine qu’avaient les traducteurs ; ils ont alors modifié le sens du passage – considérant peut-être que la copie hébraïque qu’ils possédaient avait subi l’interversion des consonnes d’un verbe signifiant « danser » ? Par contre, l’évangile de Jean, citant ce verset au sujet de la mort de Jésus (Jean 19.37), et l’Apocalypse dans son allusion à ce verset (Apocalypse 1.7) ne reprennent pas la Septante et rendent bien le sens de l’hébreu : Jésus est YHWH crucifié…

Que faire, à partir de ce double constat de légitimité et de limites des traductions ?

Pas de panique ! On peut garder une confiance raisonnable dans les versions de la Bible : la marge d’erreur reste très faible et ne touche pas au message biblique essentiel. Sans connaissance des langues originales, il faut diversifier les versions de la Bible qu’on lit et se procurer une bonne bible d’étude qui indiquera les différentes possibilités de traduction. Le prédicateur du début de cet article avait-il raison ou non ? Je vous laisse répondre…

1 Commentaire

Les commentaires sont désactivés.

Abonnez vous à notre Newsletter et recevez gratuitement les nouveaux articles par mail