Trois lectures du sabbat

Trois lectures du sabbat

Comment comprendre la portée du sabbat ? Plusieurs approches sont possibles. Deux en particulier retiennent la préférence de ceux qui ont étudié la théologie biblique du sabbat. La première option voit le sabbat comme faisant partie de ces « ombres des biens à venir » contrastées avec « la réalité, qui est le Christ » (Col 2.17). Le sabbat serait rendu caduque par l’accomplissement du ministère de Christ. La deuxième option voit le sabbat essentiellement à travers son inclusion dans les Dix commandements. En tant que partie intégrante de la loi morale de Dieu, le sabbat est « éternel » et ne disparaît pas, même si nous préservons l’accomplissement assuré par Christ.

Christopher Wright, dans son livre Éthique de l’Ancien Testament, propose de lire les commandements mosaïques de trois manières : les lectures typologique, eschatologique et paradigmatique. Je propose de les appliquer à la lecture du sabbat : le sabbat comme annonciation de la libération accomplie par Christ (lecture typologique), le sabbat comme signe de la perfection du royaume à venir (lecture eschatologique), et le sabbat comme pratique circonstanciée du peuple d’Israël qui, encore aujourd’hui, continue de nous interpeller (lecture paradigmatique).

La lecture typologique

La première lecture (typologique) voit le sabbat comme un type du repos de Dieu décrit en Genèse 2. Cela nous conduit à reconnaître que, dans un ordre déchu, ce jour est la libération promise et accomplie par Dieu. Ceci est particulièrement visible dans l’inclusion du sabbat dans les dix commandements, préfacés par la déclaration de libération : « Moi, je suis l’Éternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude. » (Dt 5.6, cf. Ex 20.2) Sabbat et libération vont de pair.

 La lecture typologique du sabbat souligne ainsi que nous sommes libres de toutes les œuvres humaines qui prétendraient être une voie de salut et de libération. Nous sommes à l’abri au sein du repos que le Seigneur du sabbat tient entre ses mains. La résurrection de Christ scelle la possibilité du repos, et cette réalité transforme, en l’accomplissant, le sens littéral du sabbat. La bannière de la libération divine est désormais dressée au-dessus de son peuple, nous pouvons nous réjouir et éclater en reconnaissance.

L’approche typologique confirme que nous ne sommes plus tenus par l’observance du sabbat, telle qu’elle fut régulée dans la loi mosaïque. Cette première lecture donne ainsi raison à ceux qui soutiennent que nous sommes libres de l’observance légaliste des jours et des rituels. La clé de compréhension du sabbat est le ministère de Jésus-Christ, notre grand-prêtre qui nous assure un repos éternel (Hé 4).

La lecture eschatologique

Une deuxième lecture, eschatologique, nous exhorte à diriger nos yeux vers la plénitude qui nous attend. Elle nous projette en avant, nous faisant vivre par anticipation un monde qui n’est pas entièrement là. Cette lecture eschatologique, qui nous fait désirer le jour éternel de Dieu, est sujette à une dérive, celle de la sur accentuer au détriment des autres, avec pour conséquence un même résultat : l’abandon de toute pertinence du sabbat.

Nous ne devons pas oublier que nous vivons dans un entre deux âges, un temps dans lequel ce qui a déjà été accompli par Christ demeure encore à être vécu en plénitude. C’est ce « déjà et pas encore » qui explique la sagesse avec laquelle nous devons présenter la nature de ce repos du septième jour dont le « pas encore » demeure encore pertinent pour nous aujourd’hui. Nous sommes déjà libres du sabbat mosaïque (Col. 2.16-17), mais nous devrions encore continuer à nous reposer visiblement des « œuvres de nos mains » et nous rassembler au « jour du Seigneur » (1 Co 13.2 ; Ap 1.10).

Le peuple de Christ bénéficie des promesses de ce texte prophétique, parce que Christ a offert pour lui le seul respect possible du repos divin, initiant l’œuvre spirituelle de nouvelle création. L’accomplissement eschatologique par Christ est aussi un signe dirigé vers l’accomplissement de la création. Le jour de la résurrection est une récapitulation, le point d’orgue de l’activité créatrice, et son accomplissement final est le point d’orgue de l’œuvre divine de recréation. Le jour éternel du repos, acquis par Christ, devient par extension non seulement le point d’orgue de l’activité créatrice, mais la démonstration même de ce que seront tous les jours de notre éternité.

Nous vivons dans un entre deux âges, un temps dans lequel ce qui a déjà été accompli par Christ demeure encore à être vécu en plénitude.

La lecture paradigmatique

Une troisième lecture contribue à la richesse et à la profondeur du sabbat dans la Bible. La lecture paradigmatique du sabbat met en valeur la réalité de toutes les thématiques humaines liées au sabbat. Le sabbat touche en effet les dimensions sociale et économique, ainsi que des implications que la réalité sabbatique devait avoir sur l’attitude du peuple d’Israël envers les plus faibles, de même qu’envers la « terre » elle-même. Le rapport étroit entre le sabbat et la vie socio-économique du peuple d’Israël souligne que la vie de foi ne peut jamais être séparée des expressions concrètes que la foi doit prendre dans un monde pétri de réalités matérielles.

Cette manifestation concrète du sabbat se déploie dans toutes les dimensions de la vie humaine : dans notre relation avec les autres, avec l’environnement, mais aussi avec le créateur. Dans l’Ancien Testament, nous voyons que le sabbat embrasse à la fois l’adoration communautaire (en régulant un jour de repos), mais aussi sa vie socio-économique (en régulant le soin des plus faibles), ainsi que le soin de la création (en régulant le repos des animaux de travail). Si le sabbat concerne ainsi toutes les relations humaines, c’est parce que le septième jour est le couronnement des six autres jours de la création. C’est un jour de bénédiction et de consécration.

Les bénéfices d’un jour de repos sont bien réels. L’exploitation de la terre aux fins exclusives de l’enrichissement humain est une perversion de notre vocation créationnelle, de même qu’une culture qui ne verrait dans les animaux qu’une potentielle source de nourriture. Il est aussi légitime de nous inquiéter des comportements de certains employeurs qui abusent de la responsabilité qui est la leur, ou qui sacrifient le bien de la communauté sur l’autel du profit. Enfin, l’exemple (le paradigme) d’un jour d’adoration communautaire est aussi un exemple du rassemblement que nous sommes appelés à vivre à la gloire du Christ ressuscité, rendant visible cette foi qui rend la vie.

 

Si le sabbat concerne toutes les relations humaines, c’est parce que le septième jour est le couronnement des six autres jours de la création. C’est un jour de bénédiction et de consécration.

 

 

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