Alors que le « projet de loi confortant le respect des principes de la République » a été durci au Sénat, beaucoup reviennent sur le principe de laïcité. Marlène Schiappa a lancé le 20 avril des « États généraux de la laïcité », un moyen pour pouvoir dialoguer paisiblement sur le sujet. Il n’empêche qu’un sentiment ressort de tous ces déboires : la laïcité est en danger et avec elle, nos libertés. Le journal Télérama affichait récemment à la une : « Menace sur la laïcité ? ». La question se pose étant donné que nous observons des tendances qui semblent éloigner la laïcité d’une liberté et la transformer en une restriction. Dans l’ouvrage Libre de le dire : fondements et enjeux de la liberté de conscience et d’expression en France, (Marpent, BLF, Libre de le dire, 2014) le Conseil national des évangéliques de France évoque notamment deux dangers.
Du pluralisme à l’autocensure
Le pluralisme prôné en société semble progressivement tendre vers un conformisme. C’est un danger important pour la liberté d’expression. Cette tendance transformerait alors la liberté de la laïcité en répression. Même si nos libertés sont protégées par la laïcité, on constate facilement que l’expression est freinée par la peur d’avoir un discours intolérant, un discours de haine, voire de faire un délit d’opinion. Ces délits font planer la menace d’être accusé si on exprime une opinion à contre-courant qui pourrait être perçue comme une diffamation, une injure ou un propos discriminant. C’est la crainte d’avoir une opinion trop contraire au discours ambiant.
En fait, c’est comme s’il existait un discours présent en société qui est reconnu et présenté comme plus moral, plus rationnel et plus vrai en fin de compte. On voit se dessiner alors une forme de conformisme qui, sous couvert d’égalitarisme, tasse les opinions diverses et fait perdre la richesse de la pluralité. Or ce discours ambiant est lui aussi une opinion parmi d’autres. Lui aussi est basé sur des convictions, une idéologie et une vision du monde particulière. Il est donc possible de ne pas être d’accord avec ce discours. Mais dans le doute, l’autocensure est préférée.
Cette peur de subir une forme de répression, de délation, de menaces paralyse. Elle dissuade d’exprimer ce que l’on pense ou ce que l’on croit et limite par là même la liberté d’expression. On peut donc voir une restriction de la liberté d’expression s’installer en société alors que la laïcité est censée défendre la pluralité des opinions.
Une forme de conformisme qui, sous couvert d’égalitarisme, tasse les opinions diverses et fait perdre la richesse de la pluralité.
De la neutralité de l’État à la neutralisation des citoyens
Autre tendance que l’on constate : le principe de neutralité – que l’État doit respecter – semble aussi être appliqué aux citoyens. Dans la laïcité, l’État doit être neutre. Autrement dit, il ne doit pas s’impliquer dans les affaires religieuses. Il ne doit pas y avoir de religion d’État, pas de relations d’intérêt avec une religion, donc pas de favoritisme. Il ne doit pas non plus empêcher le développement d’une religion. Bref, l’État doit être impartial. Cette neutralité de l’État consiste tout de même à prendre en compte les religions comme phénomène social essentiel et à leur laisser une place pour s’exprimer. L’État est neutre par rapport aux confessions religieuses mais le religieux peut être intégré dans la vie publique. La neutralité tient compte de la diversité religieuse comme élément essentiel à la vie en société.
Mais aujourd’hui, on a l’impression que ce qui est attendu de l’État semble aussi l’être implicitement de la part du citoyen. Bien entendu, la loi ne requiert pas la neutralité des citoyens, pourtant, on dirait qu’on attend qu’ils soient aussi neutres. On remarque cette tendance notamment dans la façon dont on envisage l’espace public. C’est comme si le citoyen devait être neutre dans l’espace public et qu’il devait réserver sa liberté d’opinion – pour les sujets sensibles comme la religion – pour la sphère privée. La liberté d’expression aurait donc des limites… Mais cette frontière entre le privé et le public est difficile à définir. En effet, la religion s’exprime forcément dans l’espace public d’une manière ou d’autre. Ce qu’on pense intérieurement va trouver une expression à la fois dans l’espace privé et dans l’espace public. La séparation du privé et du public n’est pas évidente et pousse à une forme d’hypocrisie ou de reniement. Faire abstraction des valeurs personnelles dans le public impose aux individus une neutralité qu’ils n’ont pas à assumer. Cette volonté de restriction participe à une sorte de neutralisation des citoyens dans les deux sens du terme : non seulement la neutralité des citoyens mais aussi la volonté de les rendre inoffensifs en matière de religion.
Mais cette frontière entre le privé et le public est difficile à définir.
La neutralité biaisée de l’État
C’est une position difficile à tenir d’autant plus que l’État n’est pas entièrement neutre. En effet, l’État n’est pas idéologiquement neutre : il intervient dans le domaine des valeurs, de la philosophie et des religions en fonction d’une certaine vision du monde. Cela se manifeste notamment dans les médias et comme on vient d’en parler dans la restriction de l’espace public à ce qu’il considère acceptable. C’est en soi un jugement de valeur qui considère les croyances religieuses peu pertinentes en société. C’est à se demander si une autre religion prônée par l’État serait en train de se développer. C’est la thèse de Valentine Zuber qui voit dans la République française les traits d’une religion civile qui sacralise la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen malgré la revendication d’une laïcité (Le culte des droits de l’homme, Paris, Gallimard, 2014). Cette religion prendrait la forme d’un laïcisme qui tend à lutter contre l’influence des religions et qui ne prévoit plus de place pour la religion. En bref, et si on ne veut pas parler de religion d’État, une philosophie antireligieuse. L’État étant difficilement neutre, la neutralité des citoyens est encore plus difficile à accepter.
Ce constat d’une laïcité en danger pousse le Conseil National des Évangéliques de France à parler d’une « laïcité de surveillance » qui ne s’attarde pas à protéger les libertés religieuses des citoyens mais à contrôler les cultes. À la suite des plaidoyers présentés par la Fédération Protestante de France à l’occasion du projet de loi contre les séparatismes, rappelons l’importance de la laïcité et les libertés qu’elle défend.
Pour aller plus loin :
- Revenir à la laïcité d’Erwan Cloarec
- La laïcité, une liberté ? d’Emmanuelle van der Does
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