La Bible enseigne-t-elle que les élus recevront des récompenses au ciel selon leurs mérites propres ? Lorsqu’on évoque cette doctrine des récompenses, un passage revient souvent, la parabole des talents en Matthieu 25. Mais est-ce vraiment ce que Jésus enseigne dans cette péricope ? Il est parfois difficile de bien interpréter une parabole. Et pour cause, il est parfois compliqué de différencier d’un côté les éléments de mise en scène et de l’autre les éléments propres à l’enseignement, qu’il nous faut retenir !
Pour cette parabole il me semble justement que certains éléments généralement compris comme enseignant les récompenses sont, en fait, propres à la mise en récit. Alors que, à l’inverse, d’autres éléments allant à l’encontre de cette interprétation sont bien souvent oubliés.
Des éléments suggérant les récompenses chrétiennes ?
Pour beaucoup, la valorisation que le maître de maison fait du travail de ses bons serviteurs est un élément principal suggérant les récompenses données. Et pour cause, le maitre les félicite et leur confie alors de plus grandes responsabilités ! Pourtant, à s’y pencher de plus près, des interrogations sur la cohérence d’une telle approche surgissent.
En effet, si le retrait ou l’ajout des talents nous enseigne les récompenses faites aux chrétiens, que comprendre alors du mauvais esclave jeté aux « ténèbres du dehors » là où il y a « des pleurs et des grincements de dents. »(v.30) ? Jésus enseignerait-il la perte du salut pour cause d’inaction ou de paresse dans nos œuvres ?
De même si les esclaves qui ont reçu et produit deux sommes différentes reçoivent la même récompense, que comprendre des récompenses faites aux chrétiens ? En effet, en rappelant que « les différences de talents entre les personnages de la parabole n’introduisent en aucune manière des différences de statuts entre eux. » C. Paya note bien que « le maître regarde les deux premiers serviteurs de la même manière, exactement, et leur dit les mêmes paroles, exactement [1] ». À ce sujet R.T. France signale aussi qu’« il est peut-être important de souligner que les deux esclaves reçoivent les mêmes éloges en dépit des responsabilités différentes qui leur ont été confiés au départ : le capital de départ n’était pas le même, mais le résultat, lui, a été proportionnellement identique [2]. »
À l’inverse, il note par exemple que le v.29 « car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on enlèvera même ce qu’il a » est une répétition de 13.12, où Jésus explique qu’il parle en parabole afin que ses contemporains ne comprennent pas ce qu’il dit et soient ainsi jugés ! Par cette expression il est donc bien plus question du jugement que Dieu apporte à ceux qu’il rejette, que d’un lien avec des récompenses.
Mais alors qu’enseigne vraiment Jésus ici ?
Les différences de talents entre les personnages de la parabole n’introduisent en aucune manière des différences de statuts entre eux.
Se tenir prêt pour le retour du Roi
S’il est question de bons et fidèles serviteurs qui entrent dans la joie de leur maître (v.21-23) et que le mauvais serviteur est jeté dans les ténèbres du dehors, ne faudrait-il donc pas comprendre qu’il s’agit ici du jugement dernier, lorsque les bons seront séparés des mauvais ?
Cette approche semble soutenue par l’ensemble des discours de Jésus des chapitres 23 à 25 dont fait partie cette parabole. Car toute cette section consiste à enseigner qu’il faudra veiller dans l’attente du retour de Christ et que lors de sa venue Jésus séparera ceux qui l’auront attendu (et donc auront vécu en conséquence !) de ceux qui ne l’auront justement pas attendu.
Au chapitre 24 déjà il est dit que « L’un sera pris et l’autre laissé » (24.40), l’esclave que son maitre trouve occupé […] sera responsable de tous ses biens (v.47) mais celui qui bat ses compagnons, mange et boit avec les ivrognes (v.49) sera mis en pièces et ira là où il y a des pleurs et des grincements de dents. (v.51).
Et cela continue au chapitre 25 qui débute par la parabole des 10 vierges où les 5 vierges sages qui ont prévu assez d’huile sont reçues par le marié et les 5 folles ne le sont pas. De même, juste après la parabole des talents Jésus explique que « quand le Fils de l’Homme viendra dans sa gloire […] Il séparera les uns des autres comme le berger sépare les moutons des chèvres » (Mt 25.31-32). Dans ce dernier discours du chapitre 25 Jésus oppose ceux qui auront pratiqué le bien envers « ces plus petits » (et donc envers Lui-même) (v.40) de ceux qui ne l’auront pas fait. R.T France fait d’ailleurs remarquer que « le thème du jugement, développé dans les chapitres 23-25, atteint ici [chapitre 25 v.31-46] une ampleur et une profondeur extraordinaire[3] »
Qu’en conclure ?
Ainsi, remise dans son contexte initial, cette parabole fait effet de contraste. Contraste de statuts entre les responsables juifs, représentés par ce troisième serviteur, qui rejettent Jésus et font « un mauvais usage de la générosité de Dieu à l’égard d’Israël [4]» et ceux qui suivent Jésus, agissants comme de fidèles disciples, représentés par les deux premiers serviteurs.
Cette parabole n’incite donc pas les chrétiens à œuvrer en vue de quelconques récompenses mais plutôt à agir en toute justice et à pratiquer le bien tels de fidèles serviteurs attendant avec confiance le retour de leur Maitre.
Cette parabole fait effet de contraste
[1] Christophe Paya, Comprendre Matthieu 14-28 aujourd’hui, Charols; Vaux-sur-Seine, Excelsis ; Édifac, 2020, p.275.
[2] R.T. France, L’évangile de Matthieu. tome 2, Vaux-sur-Seine, France, Edifac, 2000, p.166.
[3] Op.cit., p.167.
[4] Christophe Paya, Comprendre Matthieu 14-28 aujourd’hui, Charols; Vaux-sur-Seine, Excelsis ; Édifac, 2020, p.276.
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