J’ai toujours perçu la prédication comme le cœur de mon ministère de pasteur. Non seulement parce que je suis convaincu de son importance fondamentale pour l’Église mais aussi parce que c’est dans ce processus qui mène de la méditation de la Bible à sa proclamation en chaire que je vibre le plus. Le prédicateur est toujours le premier édifié, ou interpellé, par ce qu’il prêche ! Mais l’exercice de la prédication est une école d’humilité : on peut y mettre tout notre cœur et toute notre éloquence, Dieu utilise, ou pas, notre prédication comme il veut. C’est pourquoi, à cause de cette dépendance de Dieu dans la prédication, je suis plus que jamais convaincu du caractère prophétique de la prédication. Quelques réflexions à ce sujet.
Une conception fluide des ministères
Mon propos dans cet article n’est pas de proposer une étude sur la compréhension de la prophétie dans le Nouveau Testament. Sur ce sujet, je souscris largement à la thèse de Timothée Minard dans son article : « La prophétie chrétienne, d’après le Nouveau Testament : l’état de la question » (Théologie évangélique, vol. 12, n° 1, 2013). Il y démontre avec justesse que ce qui caractérise la prophétie chrétienne dans le N.T, c’est avant tout son inspiration et non une forme ou un contenu particuliers. Je regrette toutefois qu’il refuse un lien explicite entre la prophétie du N.T et la prédication chrétienne, préférant voir dans le didaskalos (l’enseignant) du N.T. le précurseur du prédicateur. Si le prédicateur chrétien tient sans aucun doute de l’enseignant, ne tient-il pas aussi du prophète ?
Si le prédicateur chrétien tient sans aucun doute de l’enseignant, ne tient-il pas aussi du prophète ?
Je suis attaché à une conception fluide – non-figée – des ministères. Il ne me semble pas légitime de se restreindre aujourd’hui aux seuls ministères mentionnés explicitement dans le N.T., d’autant que le contour biblique de ces ministères semble souvent à géométrie variable. À l’instar de l’épisode d’Actes 6, je crois que l’Église est appelée à sans cesse réinventer les ministères dont elle a besoin pour accomplir sa vocation. Il ne s’agit donc pas de chercher à quel ministère néotestamentaire particulier le prédicateur doit être identifié mais de comprendre quelle est la pertinence et la mission de la prédication dans l’Église. Or il me semble que le prédicateur relève autant de l’enseignant que du prophète.
Le prédicateur est un enseignant-prophète !
Le prédicateur est un enseignant car sa parole se fonde sur l’Écriture, qu’il est appelé à interpréter et transmettre. C’est pourquoi, il a besoin d’une formation théologique solide. Le fondement de la prédication est et doit rester l’Écriture seule : il s’agit bien toujours de prêcher la Bible. Mais il peut arriver que le prédicateur se cache derrière le texte biblique, qu’il ne cherche pas à l’incarner… et qu’il ne transmette rien.
La prédication est une prise de risque, un moment où le prédicateur se rend vulnérable, où il se livre. Et si une interprétation fallacieuse disqualifie à coup sûr une prédication, une interprétation sérieuse et rigoureuse ne garantit pas à elle seule une bonne prédication… C’est, me semble-t-il, un écueil possible des prédications dites textuelles (expository preaching). Pour qu’une prédication soit pertinente, il faut qu’elle soit une parole qui rejoint ceux à qui elle est adressée.il peut arriver que le prédicateur se cache derrière le texte biblique, qu’il ne cherche pas à l’incarner… et qu’il ne transmette rien
Et c’est là que se manifeste le caractère prophétique de la prédication. Je ne prétends pas qu’il y ait une stricte équivalence entre la prophétie au sens du NT et la prédication au sens moderne. Je ne prétends pas non plus que la prédication serait la seule prophétie légitime aujourd’hui. Mais nier à la prédication sa dimension prophétique, c’est l’amputer d’une part d’elle-même.
Le prédicateur ne peut pas se contenter d’expliquer à son auditoire le texte biblique sur lequel il prêche. Pour apporter une parole de Dieu adaptée à un temps et une circonstance donnée, il doit faire l’effort de rejoindre son auditoire, se mettre à la place de ceux qui l’écoutent. Il doit aussi, en amont, chercher la face de Dieu, prier pour trouver l’inspiration – au sens fort du terme ; une révélation de l’Esprit de Dieu. Évidemment, ça ne fait pas de la parole du prédicateur une parole infaillible. Loin de là ! On demandera au contraire aux auditeurs de la prédication la même vigilance dans le discernement que pour les prophètes, selon les instructions de l’apôtre Paul aux Corinthiens (cf. 1 Co 14.29). Et aux prédicateurs l’humilité de s’y soumettre…
Conclusion
Finalement, affirmer le caractère prophétique de la prédication en demande plus au prédicateur. Il ne pourra pas se contenter de son bagage théologique et de sa connaissance de la Bible pour expliquer le texte sur lequel il prêche, il devra sans cesse se mettre à l’écoute de l’Esprit de Dieu pour discerner ce que Dieu veut dire aujourd’hui à travers sa prédication. Mais n’est-ce pas là le chemin exigeant d’une prédication incarnée et pertinente ?
3 Commentaires
Excellent et tout à fait d’accord !
Merci Vincent pour cette courte analyse synthétique sur le caractère prophétique de la prédication.
J’aurai juste aimé que tu dises un mot sur 1 Cor 14:6, ou Paul distingue clairement un discours par révélation, ou par connaissance, ou par prophétie, ou par doctrine.
Quid d’une prédication “par connaissance ou par doctrine” ? Doit-elle être nécessairement prophétique ? Dans ce cas, “l’enseignant” est-il toujours “prophète” ?
Avec mes amitiés.
Frantz
Merci pour le retour positif !
En fait, je me suis moins intéressé ici à la prophétie qu’à la prédication. Et comme je l’écris, la prophétie dans le NT ne se résume pas à la prédication, loin de là. Mais pour moi, la prédication relève autant de l’enseignement que de la prophétie.
Reste la question de 1 Co 14.6… Que sont ces “paroles de révélation, de connaissance, de prophétie ou d’enseignement” ? Elles sont distinguées des paroles en langues qui, pour être accessibles à tous, ont besoin d’être interprétées. Ces quatre “paroles”, même si je ne suis pas sûr de bien saisir les nuances de chacune, ont donc en commun d’être intelligibles et adressées à la communauté, et à ce titre elles peuvent sans doute se rapprocher de ce que nous entendons aujourd’hui par prédication. Peut-être peut-on alors voir dans ce texte la légitimité d’une pluralité de formes de la prédication : il n’y a pas une seule façon biblique de prêcher !
Merci Vincent pour ta réponse.
Je suis d’accord avec toi sur le fait que, dans le contexte de 1Cor 14, les quatre “paroles” n’ont pas besoin d’être “interprétées” pour être comprises, contrairement au parler en langues. De plus il est probable qu’il y ait des recoupements entre ces 4 manières de s’adresser à l’Église (cela rejoint cette notion de ministère à “géométrie variable” que tu mentionnes). J’en veux pour preuve par exemple que “prophétiser” 1 Cor 14:3 c’est bien sûr édifier, exhorter, consoler v 3, 4, mais aussi instruire v 31. Lorsque quelqu’un apporte une parole d’enseignement (une des “quatre” paroles) il instruit forcément la communauté…
En tous cas pour rejoindre ton propos, les quatre “paroles” de 1 Cor 14:6 sont appelées elles aussi “rejoindre l’auditoire”, donc quelque par à avoir une dimension “prophétique”. Ton article me confirme donc que la prédication, indépendamment de sa forme, devrait conserver son caractère prophétique, et restée inspirée de Dieu !
Avec mes amitiés fraternelles.
Frantz
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