Réflexions sur des problèmes éthiques contemporains
L’objet de cet article est de faire la lumière sur une pauvreté à laquelle nous n’avons pas nécessairement prêté attention et qui a pourtant ressurgit « grâce » aux débats bioéthiques récents. Nous commencerons par rappeler succinctement les principales problématiques bioéthiques épineuses qui ont fait l’actualité des dernières années. Nous essaierons ensuite de montrer que le dénominateur commun à toutes ces interrogations éthiques est la présence de « pauvres » qui sont négligés. Enfin, en dévoilant le souci central du pauvre dans l’Écriture nous tenterons d’exposer des réflexions adéquates pour les chrétiens contemporains.
Vincent Lambert
Dans les suites d’un accident de moto en 2008 Vincent Lambert a souffert d’un handicap majeur l’empêchant de communiquer avec ses proches et le rendant dépendant pour les besoins élémentaires. Vincent Lambert s’est retrouvé dans un état pauci-relationnel sans pour autant qu’il soit dépendant d’un appareillage visant à se substituer aux fonctions vitales. Finalement, la justice, approuvée par une partie de l’opinion publique, semble avoir estimé que son existence d’handicapé ne valait plus la peine d’être vécu.
Droit à l’avortement
Le débat s’est cristallisé sur la liberté accordée à une personne au détriment de celle d’une autre qu’on a choisi d’ignorer délibérément. De nombreux arguments ont été avancés pour ne pas reconnaitre à l’embryon (voire au fœtus) le statut de sujet. Finalement, la petite taille, la totale dépendance, la faible interaction et le manque d’utilité ont déchu l’enfant en devenir de son statut de personne.
PMA et GPA pour toutes
L’érosion de la nature de l’être humain ne s’est pas arrêtée là. PMA et GPA (pour l’instant à l’étranger) introduisirent la marchandisation du corps humain (mère porteuse) et de l’enfant (objet de désir) pour le bonheur d’individus plus aisés. Un fossé discriminatoire a même été creusé en créant volontairement des enfants sans père et dont les origines filiales resteront un mystère.
Recherche embryonnaire
Récemment, la recherche embryonnaire semble faire un pas en avant en proposant de faire grandir des cellules souches humaines dans un embryon animal afin de palier à la pénurie mondiale de donneurs d’organes. Outre le problème éthique du risque d’effacement de la frontière homme/animal se pose la question des embryons que l’on va utiliser pour réaliser ses recherches. D’où viennent-ils et que ferons-nous d’eux après leur exploitation ?
Repérer le pauvre
Comprenons maintenant que dans chacune de ces situations s’opère l’exploitation d’une catégorie de personnes que nous pourrions qualifier de « pauvres ». Ces pauvres sont les premières victimes de changements sociétaux qui veulent pourtant s’inscrire dans une démarche « humaniste ».
- Sous couvert d’une action « compassionnelle » il est proposé d’évaluer la valeur d’une vie en fonction de son état de dépendance et d’interaction par rapport à son environnement.
- Sous couvert d’une mission de santé publique (finalité collective) il est demandé aux citoyens de fermer les yeux sur la nature même d’un embryon (finalité individuelle).
- Sous couvert d’une majoration du libre choix de certains individus on devrait pouvoir se débarrasser de certains personnes « non désirées » ou jugées trop couteuses.
Ces pauvres sont les premières victimes de changements sociétaux qui veulent pourtant s’inscrire dans une démarche « humaniste »
Le pauvre dans l’Écriture
L’objectif pour le chrétien est donc de discerner qui est « le pauvre » dans ces débats. L’enjeu est de taille car nos artifices rhétoriques de « riches » modernes sont parfois déroutants. Réalisons que dans l’Écriture la pauvreté ne se résume pas au besoin matériel. Elle englobe toute les situations où un être humain se trouve dans une situation d’infériorité/d’exclusion par rapport aux autres membres du groupe[1]. Certains proverbes soulignent la solidarité entre Dieu et les pauvres et montrent que le Seigneur est attentif à notre façon de les considérer : « Opprimer le pauvre, c’est outrager son Créateur » (Pr 14.31) alors que « qui a pitié du pauvre, prête à l’Éternel » (Pr 19.17). Notre conduite à tenir est balisée par la compassion et la justice sociale : « Ouvre la bouche pour celui qui n’a pas de voix, pour la cause de tous les délaissés, juge avec équité et défends la cause des malheureux et du pauvre » (Pr 31.8-9).
Quelques pistes de réflexion
- Devant la complexité des débats, rappelons déjà que la recherche de l’intérêt général et du bonheur suprême ne peut faire l’économie d’une réflexion déontologique sur la justice sociale. Certes il incombe à tout citoyen de gérer de façon optimale les ressources d’un pays en vue d’assurer la sécurité et le confort de toute la population. Mais ce serait une erreur de ne pas prendre en compte la détresse de chaque individu sans proposer l’accueil et l’accompagnement les mieux adaptés à tous quel que soit le prix que cela doit impliquer. Pour l’Israël de l’ancien testament, la lutte contre la misère et la pauvreté était une « actualisation de son passé »[2]. En effet, après avoir été libéré de l’oppression en Égypte, les Israélites devaient manifester la même compassion pour les pauvres que celle dont Dieu avait usé envers eux. De même aujourd’hui l’Église devrait opérer une « actualisation » du futur : le Royaume de Dieu, où il n’y aura plus d’injustice ni de pauvreté, commence à s’incarner dès à présent dans nos faits et gestes.
Pour l’Israël de l’ancien testament, la lutte contre la misère et la pauvreté était une « actualisation de son passé »
- Malgré quelques choix sociétaux regrettables il convient aussi de garder la lucidité qui nous manque parfois dans certaines diatribes déchainées sur les réseaux sociaux. En effet, le ras le bol contemporain des « normes » chrétiennes est parfois la conséquence de notre insuffisance à faire valoir leur bien-fondé. Hardis à clamer nos adages, droits dans nos bottes sur le chemin de « la vérité », nous manquons parfois de sensibilité vis à vis de « nos pauvres » qui nous entourent et que nous ne remarquons même pas. Serions-nous prêts à fournir l’aide matérielle et l’appui financier substantiel nécessaire à pourvoir au besoin d’une mère célibataire se présentant dans notre assemblée ? Visite-t-on nous nos malades ? Prenons-nous en charge nos proches handicapés ou âgées ? (1 Tm5.8)
Hardis à clamer nos adages, droits dans nos bottes sur le chemin de « la vérité », nous manquons parfois de sensibilité vis à vis de « nos pauvres » qui nous entourent et que nous ne remarquons même pas
- De belles opportunités s’offrent donc encore à nous. Un regard dans le rétroviseur de l’Histoire peut affermir notre combat en faveur des pauvres. En effet, le monde antique sous l’Empire Romain était marqué par la présence d’inégalités socio-économiques majeures qui privaient certains individus de droits au profit d’une minorité de privilégiés. Les avortements et les expositions d’enfants étaient courantes, les jeux du cirque divertissaient les citoyens sur le dos de gladiateurs et d’esclaves sacrifiés (parfois même consentants) … Et finalement, la décadence morale romaine a fourni le terreau nécessaire à l’expansion de l’Église. Par son souci du pauvre, par l’estime accordée aux enfants et aux femmes, l’Église primitive a disposé d’un pouvoir d’attraction considérable. Si notre société doit « progresser » sur la route du déclin, peut-être pourrons-nous y voir l’occasion d’exprimer davantage notre rôle de sel et lumière sur la terre.
Et finalement, la décadence morale romaine a fourni le terreau nécessaire à l’expansion de l’Église
[1] Pour plus de précision sur ce thème lire le livre de Jacques BLANDENIER, Les pauvres avec nous, LLB, 2006,
[2] Ibid p. 67
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