Qui règne dans le monde?

Qui règne dans le monde?

En créant l’homme, Dieu lui confie une position de domination sur la Création : Adam est, à la gloire du divin Roi, prince en Éden. Si ce privilège originel nous honore, il nous étreint aussi le cœur, nous humilie et éveille notre nostalgie. Car les choses ne sont plus ce qu’elles ont été, ni ce qu’elles auraient pu être. Qu’est devenu, au final, notre statut de prince depuis que le mal est entré dans le monde ?

Le premier Adam, prince déchu

A l’origine, l’homme « à l’image de Dieu» reçoit l’autorité sur le monde créé, qu’il doit « soumettre» et « dominer» (Gn 1.26 ; 28).

Alors qu’Adam et Ève devaient dominer le serpent, celui-ci les soumet par sa ruse. En rejetant l’autorité de Dieu, ils se dessaisissent de la leur pour s’assujettir au reptile, symbole du diable. Ce dernier parvient à ses fins : la désobéissance de l’homme entraîne sa condamnation à mort et donc sa défaite, car la terre qu’il devait soumettre, l’engloutira (Gn 3.19). Alors qu’Adam devait régner sur le monde, c’est désormais le péché et la mort qui règnent (Rm 5.21). Chassés d’Éden, qu’ils ne sont plus en mesure de « garder » et de « cultiver », Adam et Ève ont entraîné le reste de l’humanité à vivre sur une terre maudite, loin de la présence de Dieu.

Lors de l’alliance avec Noé, Dieu reformule la vocation de l’humanité déchue. À cette occasion, il reprend certains aspects du mandat originel, mais ne mentionne plus sa fonction de gouvernance. Dans ce récit (Gn 8.21-9.17) qui forme un parallèle évident avec celui des origines, la fameuse formule de Genèse 1.28 : « Soyez féconds, multipliez vous, […]» ne contient plus : « soumettez-là ». Ce verbe, kabash, qui signifiait la vocation royale d’Adam, est précisément absent du récit. Il faut en conclure que suite à la chute, « le but ultime du mandat d’Adam – la soumission du monde à l’homme et, par le fait même, à Dieu – devient inatteignable pour l’homme. » (K. DeYoung, Quelle est la Mission de l’église?, p.229).

Qui règne, ici et maintenant ?

Si le domaine d’intendance échappe à la bonne maîtrise de l’homme, Dieu ne le livre pas pour autant au chaos. Tout en tenant compte du cœur mauvais de l’homme, Dieu fait cette promesse à Noé : « Tant que la terre subsistera, les semailles et la moisson, le froid et la chaleur, l’été et l’hiver, le jour et la nuit ne cesseront pas » (Gn 8. 21-22). La Création reste la propriété de Dieu (1 Co 10.26) et le maintien de son équilibre cosmique est la marque de son autorité et de sa providence. Tant que Dieu fait subsister la terre (Gn 8.22), sa patience demeure.

Or, le temps de la patience de Dieu est aussi le temps d’un désordre et d’une double imposture : l’homme, qui aurait dû régner, est supplanté par le diable ; et le diable, bien qu’il ne puisse s’en affranchir, conteste la seigneurie de Dieu dans le monde. En ce sens, le diable est « le prince de ce monde» (Jn 12.31) ; le monde entier gît sous sa puissance (1 Jn 5.19) : celle du mal (Ep 6.12), des ténèbres (Ac 26.18) et de la mort (Hé 2.14). De telle sorte que « le monde » représente désormais dans plusieurs textes, une puissance spirituelle opposée à Dieu.

Le royaume de Jésus-Christ, le nouvel Adam

« Qu’est-ce que l’homme (…). Tu l’as abaissé pour un peu de temps au-dessous des anges, Tu l’as couronné de gloire et d’honneur, Tu as mis toutes choses sous ses pieds. (…) Mais celui qui a été abaissé pour un peu de temps au-dessous des anges, Jésus, nous le voyons couronné de gloire et d’honneur (…)». Ce texte d’Hébreux 2.6-9 qui reprend le Psaume 8, qui lui même reprenait le récit des origines, attribue à Jésus la domination qui avait été accordée à Adam. On remarque que ce ne sont plus seulement la terre et les animaux du Psaume 8 qui sont placés sous les pieds de l’homme Jésus, mais la mort qu’« il a réduit à l’impuissance », ainsi que « le monde à venir ». En effet, le Fils de Dieu, « Prince de notre salut » s’est incarné, afin d’écraser par sa propre mort, celui qui jusque là en détenait le pouvoir (Hé 2.14-15).

Le royaume du nouvel Adam qui est intervenu à cette occasion et qui a pris le relai, n’est autre que le royaume de Dieu.

Jésus, « nouvel Adam », a assumé le mandat dans lequel le premier Adam a échoué. Or, cette reprise du mandat déchu ne consiste pas en un simple rattrapage du passé. Le royaume du nouvel Adam qui est intervenu à cette occasion et qui a pris le relai, n’est autre que le royaume de Dieu. Son royaume ne vient pas de ce monde, il est céleste et spirituel et son plein établissement ne se fera que par le biais d’un renouvellement ou d’une transformation radicale de toute chose.

D’une part, ce jour sera l’occasion d’un jugement sur l’ensemble de l’humanité impie ainsi que sur son domaine (2 Pi 3.4-13) soumis, par la chute, à la vanité et à la corruption (Rm 8.19-21). « Les éléments créés », corruptibles par nature, ne subsisteront pas (Hé 12.27) et disparaîtront pour laisser place la nouvelle création (Ap 21.1). D’autre part, plutôt que de rétablir la créature humaine uniquement dans sa gloire première, le mandat reçu par Jésus-Christ nous unit à la sienne et le glorifie Lui, « Celui par qui et pour qui tout existe » (Hé 2.10). C’est ainsi, par exemple, que nos corps qui portent actuellement « l’image du terrestre » seront ressuscités à l’« image du céleste ». Alors, la gloire de ce qui était « premier », de notre « corps naturel » et « corruptible », déclarée « méprisable » par Paul, passera, pour laisser place à l’éclat incomparable du « corps spirituel » et « incorruptible » du dernier Adam.

Le chrétien règne dans la vie par Jésus-Christ (Rm 5.17)

Lorsque le nouvel Adam a accomplit le mandat déchu à notre place, il en a aussi redéfinit le contenu et l’orientation, selon son propre royaume qui est céleste et non terrestre. Puisque nous sommes associés au royaume du Fils de Dieu, notre gloire, notre vocation et notre héritage, sont aussi célestes.

Le croyant trouvera donc dans la gloire et le pouvoir de l’homme attestés par le Psaume 8, « l’expression d’une nostalgie et d’une attente. »[1] Et, par la surabondance de la grâce que Dieu a manifesté en nous sauvant, ces privilèges que nous attendons, sont supérieurs à ceux dont nous souffrons la perte depuis la chute. Si par le Saint-Esprit, nous jouissons déjà des arrhes de ces privilèges célestes, notre vocation de chrétien ne consiste certainement pas à restaurer et poursuivre ce statut de prince sur terre, tel qu’il avait été confié à Adam en Éden. Une telle entreprise relativiserait les conséquences de la chute et irait même à l’encontre de la portée de la rédemption. Puisque nous sommes morts et ressuscités avec Christ, penser encore « aux choses de la terre » et rechercher ses gloires, plutôt que d’espérer celles d’en haut, nous rendrait « ennemis de sa croix » (Ph 3.14-21; Co 3.1-4)

Par notre foi en Jésus, nous sommes dès aujourd’hui, vainqueurs du monde et de son prince (1 Jn 2.14; 5.4), de la mort et du péché (Rm 5.17). C’est en ce sens que nous régnons dans la vie. Nous ne dominons pas le monde, mais nous sommes libérés de son emprise : il est crucifié pour nous, comme nous le sommes pour lui (Ga 6.14). Nous vivons donc dans le monde présent, sans lui appartenir, en citoyens et serviteurs d’une autre cité (Hé 11.13-16) ; en témoins du règne de Dieu qui vient et ambassadeurs de sa volonté de réconciliation (2 Co 5.20). Si nous persévérons, alors seulement nous règnerons sur la nouvelle terre (Ap 5.10 ; 22.5), pour l’éternité (2 Ti 2.12), délivrés à jamais de la présence du mal.


Pour aller plus loin :


  • Kevin DeYOUNG & Greg GILBERT, Quelle est la Mission de l’église?, Éditions Evangile21, BLF Editions, 2015.
  • Henri BLOCHER, La doctrine du péché et de la rédemption, Edifac, 2000.
  • Mission Timothée, Revue LRFT n°12, “Christ transforme la cité? Examen de la doctrine du ‘mandat culturel’ “, Editions CO.CE.BAL, 2015.

[1]Samuel BENETREAU, Commentaire de l’épître aux Hébreux, Edifac, 1989, p. 104.

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