Le paradoxe des élections

Le paradoxe des élections

Pour beaucoup, les élections (surtout présidentielles) semblent être le sommet de la démocratie qui est, comme chacun sait, le meilleur régime qui ait jamais existé sur cette planète. Au risque d’enfoncer des portes ouvertes ou, au contraire, de décevoir certains, je crains que les choses soient un peu plus compliquées.

Jeux télévisés

L’éthicien américain Stanley Hauerwas, dans un entretien récent, rappelait que les élections ne sont pas, en elle-même, la démocratie. En effet, elles permettent à 50,1% des électeurs de dominer les autres 49,9%. Leur seul véritable intérêt est en principe de permettre une vaste conversation sur ce qui est bon, conversation qui n’aurait – dans l’état actuel des choses, en tout cas – pas lieu sans elles. Mais il fait également remarquer que les élections américaines n’ont pas grand-chose à voir avec la réalité des gens. Elles ressemblent plus aux jeux du cirque qu’à une occasion de débats sérieux sur le bien commun. Ces remarques, qui prennent après les élections américaines un relief tout particulier, s’appliquent aussi assez bien à notre situation française, même si, en ce début mars 2017, nos présidentielles ressemblent plus à une tragédie grecque ou à un feuilleton aux multiples rebondissements. Mais nous restons dans le spectacle…

nos présidentielles ressemblent plus à une tragédie grecque ou à un feuilleton aux multiples rebondissements. Mais nous restons dans le spectacle…

Dès qu’une élection concerne une population assez vaste, les médias se saisissent de la consultation et la transforment en spectacle. On l’a vu tout dernièrement avec la mise en place, assez nouvelle pour la France, des primaires de la droite et de la gauche. Qui n’a pas fait le rapport entre les échanges des candidats devant les questions des journalistes et un jeu télévisé ? Ne pourrait-on pas dire que, derrière nos élections actuelles, on retrouve trois grands éléments qui sont ainsi au cœur de nos démocraties : les partis, les médias et leur spectacle, et l’argent ?

La passion et la raison

La philosophe Simone Weil, dans un petit écrit intitulé  « Note sur la suppression générale des partis politiques » présentait ainsi les caractères essentiels des partis :

« Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective. Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres. La première fin et, en dernière analyse, l’unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite » [1]

Ne peut-on pas penser que la télévision et les réseaux sociaux ont accentué encore les travers que Simone Weil dénonçait en son temps ? Or il va de soi que la recherche du bien commun relève plus de la raison et de son difficile exercice collectif que de la passion.

Le fait est que de plus en plus de personnes doutent du bien-fondé des processus électoraux et du fonctionnement même de la démocratie représentative que nous connaissons. Peut-être arrivera-t-il un jour où un rejet majoritaire obligera à réfléchir à des démarches nouvelles qui pourraient permettre une démocratie plus authentique, mais nous n’en sommes pas encore là. Les réactions du plus grand nombre s’expriment plutôt par la colère, un certain mépris pour les professionnels de la politique, que traduisent tant le désintérêt pour les élections que les votes aux extrêmes.

La diversité des conséquences

Devons-nous tirer de ces considérations un sage retrait de ces jeux électoraux pour nous placer au-dessus de la mêlée ? Je ne le crois pas et c’est en cela que la situation me semble paradoxale. Je ne crois guère, en effet, à la profondeur démocratique de notre système, mais il a pour conséquence de placer à la tête de notre pays pour cinq ans la personne et les équipes qui le gouverneront. Pouvons-nous, en toute sincérité dire que toutes les propositions se valent et donc que le choix qui nous est proposé est sans conséquences ? Bien sûr que non. Sans nous faire d’illusions sur les résultats d’une élection, nous devons avoir conscience qu’ils ne seront pourtant pas sans conséquences sur la vie concrète dans notre pays.

Une des difficultés est que ces conséquences toucheront des domaines très variés. S’il n’y en avait qu’un, les choses seraient plus simples : nous chercherions de quel candidat nous nous sentons le plus proche et nous voterions pour lui. Malheureusement, nous nous sentons souvent proche de l’un sur un thème et d’un autre sur un autre sujet. Le grand danger, pour les chrétiens comme pour bien d’autres, serait de tout réduire à une unique question. Cette manière de faire est passionnelle et surtout réductrice.

Le grand danger, pour les chrétiens comme pour bien d’autres, serait de tout réduire à une unique question. Cette manière de faire est passionnelle et surtout réductrice.

En effet, un président des États-Unis n’a pas comme unique fonction de nommer des juges à la cour suprême. De la même manière il faut avoir conscience de la grande diversité des conséquences de notre vote.

Alors comment choisir ?

D’abord en réfléchissant aux questions et aux valeurs qui nous semblent conformes à nos convictions les plus profondes, fondées sur la révélation. Il « suffit » de relire les dix commandements ou le sermon sur la montagne, l’Évangile ou la Bible tout entière. Certains textes récents et de qualité peuvent nous aider à réfléchir, comme le texte publié par le CNEF à l’occasion des élections : « Les évangéliques en France, convictions » ou « L’adresse aux candidats à l’élection présidentielle 2017 » de la Fédération protestante. Ils sont différents mais ont tous deux la vertu de soulever les grandes questions qui doivent motiver notre vote. Elles portent sur des sujets aussi divers que la justice, la liberté, l’attention aux plus pauvres, l’attitude à l’égard des migrants, l’environnement, la sécurité, la famille et les questions sociétales, l’éducation…

À propos de vertu… Nous choisissons également une personne pour ce poste le plus en vue de la République. Certes, nul n’est parfait, mais cette personne sera exemplaire à cause de sa fonction, pour le meilleur ou pour le pire. Cette exemplarité joue pour n’importe quel responsable de groupe de jeunes. À plus forte raison pour un(e) président(e) de la République. Quelle image souhaitons-nous proposer et à qui ferions-nous confiance pour guider le pays dans ces prochaines années qui seront certainement difficiles ?

 

[1] Simone Weil, Ecrits de Londres et dernières lettres, Paris, Gallimard, 1957, p. 132.

 

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