Peut-on parler de la Bible comme de “la parole de Dieu” ?

Peut-on parler de la Bible comme de “la parole de Dieu” ?

Dans les milieux évangéliques, il n’est pas rare d’entendre un prédicateur introduire la lecture de la Bible par une formule du genre « ouvrons la Parole de Dieu ». Certains courants théologiques refusent cependant de désigner l’Écriture sainte comme « la Parole de Dieu ». Pour certains, c’est à Jésus qu’il convient de réserver ce titre. Pour d’autres, la Bible ne peut devenir parole de Dieu que si le Saint-Esprit permet au lecteur de la découvrir comme telle. Qu’en est-il réellement ? La Bible se présente-t-elle comme la « Parole de Dieu » ?

Dieu parle de différentes manières

L’expression « parole de Dieu » est fréquemment utilisée dans la Bible pour désigner la parole des prophètes de l’Ancien Testament ou la prédication orale des apôtres. De même, Jésus lui-même est défini comme la « parole faite chair » (Jn 1.14). Toutefois, la Bible indique que Dieu « parle » aussi par « l’Écriture ». Les chrétiens considèrent ainsi la Bible comme le moyen le plus fiable de savoir ce que Dieu dit.

La Bible comme Écriture humaine

Le Nouveau Testament se réfère fréquemment à l’Ancien Testament comme à « l’Écriture ». Le plus souvent, les citations bibliques y sont introduites par une formule du type : « il est écrit ». À la différence du Coran, la Bible ne se présente pas comme un livre « tombé du ciel ». La Bible a été écrite sur une période de plus de 1000 ans par des êtres humains pleinement impliqués dans le processus.

La Bible a été écrite sur une période de plus de 1000 ans par des êtres humains pleinement impliqués dans le processus.

Ainsi, lorsque le Nouveau Testament se réfère aux textes de l’Écriture, il peut les présenter comme ce que « Moïse a écrit » (Mc 12.19), ce que « David a dit » (Ac 2.25), ce qu’« Ésaïe avait prédit » (Rm 9.27) ou ce que « Paul a écrit dans ses lettres » (2 P 3.15-16). C’est cette dimension humaine de l’Écriture qui justifie l’étude des textes bibliques et la prise en compte des langues et des contextes dans lesquels ils ont été écrits.

Les Écritures comme « paroles de Dieu »

Dans l’Ancien Testament, la Loi de Moïse se présente elle-même comme la mise par écrit des « paroles du Seigneur » (Ex 24.4 ; 2 Ch 34.21 ; voir Ex 34.27 ; Dt 27.3, 8 ; 31.9). Tout au long du magnifique Psaume 119, le psalmiste parle de la « Loi » comme de la « parole du Seigneur ». De la même manière, les livres de plusieurs prophètes se présentent comme la mise par écrit de la « parole du Seigneur » (Os 1.1 ; Mi 1.1 ; So 1.1).
Dans le Nouveau Testament, l’affirmation est encore plus nette. En Romains 3.2, Paul indique que c’est aux Juifs que « les paroles de Dieu ont été confiées » (voir aussi Rm 9.6). En Jean 10.34-35, les termes « Loi », « Écriture » et « Parole de Dieu » semblent synonymes. En Hébreux 4.12, la « parole de Dieu vivante et agissante » se réfère à des textes de l’Écriture (voir He 3.7-4.13). Ainsi, les auteurs du Nouveau Testament introduisent fréquemment des citations de l’Écriture par une formule du type « Dieu a dit » ou « Dieu dit » (j’en ai relevé 36 exemples [voir liste sur le blog de l’auteur]). Dans la moitié des cas que j’ai relevés, le verbe « dire » est au présent : pour les auteurs du Nouveau Testament, ces textes de l’Écriture sont non seulement des paroles que Dieu « a dites » dans le passé, mais des paroles que « Dieu dit » aujourd’hui pour les lecteurs de l’Écriture. Si les textes cités sont souvent des discours divins, il arrive aussi que cette formule soit utilisée pour des textes qui, à l’origine, ne sont pas à proprement parler des « paroles » de Dieu. Par exemple, en Actes 13.35, la parole du psalmiste est attribuée à Dieu (voir Ps 16.10). Ce même phénomène se retrouve en Hébreux 1.6-12, 10.30 ou 13.5 (voir aussi Matthieu 19.5).
Ainsi, lorsque la Bible se réfère à l’Écriture, elle cite non pas un texte teinté d’inspiration, mais les paroles mêmes de Dieu.

La Bible comme « Parole de Dieu » : la doctrine de l’inspiration

Concevoir la Bible comme « la Parole de Dieu » forme un pilier de la doctrine classique de l’inspiration de l’Écriture. Celle-ci s’appuie notamment sur l’affirmation de 2 Timothée 3.16 : « Tout texte de l’Écriture est insufflé par Dieu » (ma traduction). C’est « portés par le Saint-Esprit » que les prophètes bibliques « ont parlé de la part de Dieu » (2 P 1.21).
Il ne s’agit donc pas de dire que la Bible contient des paroles inspirées par Dieu, mais bien qu’elle est la Parole de Dieu mise par écrit. De même, si la Bible est la Parole de Dieu, elle l’est même si le lecteur ne la considère pas comme telle. Certes, c’est seulement l’œuvre du Saint-Esprit qui me permettra de l’accueillir comme « Parole de Dieu » (voir 1 Co 2.14 ; 2 Co 3.12-18). Mais si le Saint-Esprit joue un rôle indispensable dans l’accueil de la Parole, cela n’affecte en rien le statut de cette parole. Ce n’est pas parce que la parole de M. Martin est moquée ou ignorée que M. Martin n’a pas parlé. Ce que dit la Bible, c’est ce que Dieu dit.

Ce que dit la Bible, c’est ce que Dieu dit.

Une affirmation qui parcourt l’histoire de l’Église

Cette conception de l’Écriture a été affirmée tout au long de l’histoire de l’Église. Dès la fin du 1er siècle, Clément de Rome présente les « saintes Écritures » comme « les paroles de Dieu » (1 Clément 53.1) et introduit une citation biblique par la formule « voici ce que dit la sainte parole » (1 Clément 13.3). Calvin dira comme une évidence que les fidèles « tiennent pour arrêté et conclu que [les Écritures] sont venues du ciel, comme s’ils entendaient Dieu parler de sa propre bouche » (Institution chrétienne I.7.1). Dans l’Église catholique, le concile Vatican II (1962-1965) déclarera que toutes les affirmations des Écritures ont « Dieu pour auteur » et qu’elles sont « des assertions de l’Esprit Saint » (Dei verbum, §11).
Il n’y a donc aucune raison de refuser le titre de « Parole de Dieu » à la Bible chrétienne. Lorsque nous lisons la Bible, nous lisons ce que Dieu dit.

Pour aller plus loin

 

6 Commentaires

  • bibletude .org 11 janvier 2017 17 h 37 min

    Au commencement était la Parole… et la Parole s’est faite chair. Il ne semble pas que ce soit la Bible qui s’est faite chair, Mais Dieu en Jésus.

    La Parole, c’est donc Jésus, et la Bible est la Parole écrite de Dieu.

    En Hébreux 4:12 on parle de la parole… elle… puis en Hébreux 4:13 : lui
    Il s’agit donc bien ici de Dieu, semble-t-il, et non pas de la Bible.

    Il semble plus correct de dire que la Bible est la Parole écrite de Dieu.

  • Désiré Rusovsky 12 janvier 2017 0 h 21 min

    Une étude approfondie des Écritures et en particulier de toutes les citations du Premier Testament dans le Nouveau, m’a conduit à la conclusion contraire. L’expression “parole de Dieu” n’est jamais synonyme d’Écritures dans la Bible.
    J’ai écrit un texte sur le sens de cette expression: https://glanages.wordpress.com/2013/01/19/la-parole-de-leternel-etait-rare-a-cette-epoque-les-visions-netaient-pas-frequentes-1-sam-31/

  • David Vincent 12 janvier 2017 23 h 24 min

    Merci pour cette réflexion Timothée.
    Il y a deux ans, j’avais écrit un article sur le même thème, je me permets de le partager, même si la conclusion est différente :
    http://didascale.com/religion-du-livre-parole-dieu/

    • Timothée Minard 16 janvier 2017 10 h 58 min

      Bonjour David. Je comprends que tu puisses hésiter à parler de la Bible comme de la “Parole de Dieu” à cause de certains mauvais usages qui peuvent en être faits sur la base de cette affirmation.
      Toutefois, il me semble que les exemples donnés dans mon article montrent que les auteurs bibliques (ou, au moins, certains d’entre eux) comprenaient les Ecritures comme “la parole de Dieu”.

      • David Vincent 20 janvier 2017 18 h 08 min

        Bonjour Timothée,

        Merci pour ta réponse.

        A première vue, les exemples donnés semblent plutôt rentrer dans la catégorie que j’évoque dans mon article :

        “Lorsque dans le Nouveau Testament, l’expression «Parole de Dieu » est employée pour se référer à la Bible, c’est soit pour citer directement des paroles de Dieu contenues dans la Bible (la plupart du temps), soit pour citer un prophète qui s’exprime sous la conduite de l’Esprit-Saint (au sens littéral ou allégorique). En revanche, à aucun moment nous ne voyons Jésus ou les apôtres citer un récit narratif ou un texte historique en disant « la Parole de Dieu dit », comme cela se fait couramment dans nos Eglises évangéliques contemporaines.”

        Mais je n’ai pas tout vérifié. Si éventuellement, tu veux bien me communiquer la liste des 26 citations que tu as relevées, je regarderai au cas par cas.

        Après on peut toujours envisager un emploi métonymique. De la même façon que l’on parle de l’église pour désigner le bâtiment qui accueille l’Eglise.
        Toutefois, je pense que cela risque d’entrainer une confusion et je préfère m’en abstenir.

        A bientôt,

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