La crise écologique et ses enjeux pour les prochaines années ne cessent d’alimenter les débats et nous poussent à l’action. Des résolutions doivent être prises, parfois dans l’urgence. Mais cette crise n’est-elle pas étroitement liée à une autre ? Dans le colloque « Responsabilités chrétiennes dans la crise écologique »[1], Patrice Rolin la présente comme une question spirituelle qui « ultimement nous place face à Dieu et face à nous-même. »[2] N’est-il alors pas temps pour nous, chrétiens, d’aborder cette crise écologique comme le signe d’une crise spirituelle profonde qui nous pousserait à revoir notre « écologie intérieure » ?
Écologie intérieure ?
Nous le savons, une écologie bien pensée et bien appliquée vise un équilibre dans l’utilisation et la protection des ressources dont nous disposons. Elle veut et met en place, autant que possible, une relation saine entre l’être humain et son environnement. L’écologie intérieure poursuit un même but : être en relation saine avec soi, les autres, et Dieu. Car comment entretenir un sain équilibre avec « l’extérieur » s’il n’y a pas de relation saine en soi et avec soi ?
Comment entretenir un sain équilibre avec « l’extérieur » s’il n’y a pas de relation saine en soi et avec soi ?
La multiplication des techniques de développement personnel, de méditation et même, de l’adoption de régimes alimentaires particuliers visant à « protéger » l’extérieur en prenant soin de notre « intérieur » devraient nous interroger. La quête de sens actuelle nous alerte sur un monde qui se cherche et qui désespère de trouver une « harmonie », synonyme de paix – paix avec les autres, mais aussi paix en soi. Le minimalisme qui veut se débarrasser du superflu pour ne garder que le strict nécessaire en est un exemple. J’enlève ce qui risque de « surcharger » mon espace, créer de la dépendance, pour me dépouiller du superficiel. Mais on peut ajouter autant qu’enlever, la transformation semble vouloir se borner à d’abord être un changement intime, personnel.
Car dans sa recherche effrénée de sens et de paix, l’être humain s’échine à déplacer le problème, au risque de penser qu’en se dépouillant de choses ou en en acquérant d’autres, il s’en retrouvera plus libre. Certes, la quête est louable, mais souvent si mal orientée…
Mais on peut ajouter autant qu’enlever, la transformation semble vouloir se borner à d’abord être un changement intime, personnel
C’est là que la perspective chrétienne offre une vue nouvelle. Dans toute écologie, il existe un écosystème dont il faut être conscient. La théologie comme système seul n’apporterait rien, de même que la foi sans les œuvres resterait morte. Mais liée à une spiritualité incarnée incluant la prière, la méditation, l’étude de la Parole, l’écoute, la pratique, l’exercice du discernement, la recherche de la sagesse, etc. elle aura déjà plus de sens. Une vie de foi inclut tout cela à la fois si elle se veut incarnée. Pourtant, le regain des méthodes de méditation comme la lectio divina, la prière du cœur, la prière de contemplation, et la méditation de pleine conscience révèle ce besoin d’intériorité qui nous fait parfois tant défaut.
Dieu habite en moi
Il s’agit d’un rappel simple et pourtant si riche de sens : Dieu habite en moi. Ce Dieu d’en haut, s’est fait « Dieu en bas », pour finalement être Dieu « en moi » (voir l’intervention de Thierry Lenoir l’occasion de l’édition 2021 de l’événement Hack my Bible). La Bible contient un bon nombre de formules relevant de l’être intérieur, du cœur (voir Jr 31.33 ; Éz 11.19 ; 36.26 ; 1 Co 6:19 ; Rm 5.5 ; 8.26-27 ; Éph 3.16…) où Dieu opère un renouvellement profond. Dans ce cas, notre intériorité n’est-elle pas ce lieu où l’Esprit habite ? Dieu ne se fait-il pas lumière dans ce qui nous habite, nos marécages les plus nauséabonds et nos ténèbres les plus profondes ? N’est-il pas Celui qui « voit dans le secret » (Matthieu 6.6). En effet, Lui-même nous invite à « entrer dans la chambre, à l’écart » et à « fermer la porte pour prier ». Là où il n’y a plus que Dieu… et moi, dans toute ma vulnérabilité, ma nudité, là où nul autre que Dieu voit et sait, là où Il se fait présent de façon si particulière. Voici, il me faut alors plonger dans les profondeurs de ma propre intériorité, pour qu’en m’accueillant moi-même, j’accueille le souffle vivifiant de l’Esprit qui m’habite.
Ce Dieu d’en haut, s’est fait « Dieu en bas », pour finalement être Dieu « en moi »
Il ne s’agit pas de partir en une quête de soi dans une compréhension narcissique et égocentrique. Non, ce serait faire de l’être humain une idole, un centre autour duquel le divin gravite. Il s’agit en fait bien plus de trouver Dieu en soi, et, saisissant qu’il se fait si intime, si proche, je comprenne quelle est ma dignité, mon identité de fille et fils de Dieu, créature libre, aimée, créée pour vivre de Son Souffle, jamais abandonnée mais accompagnée par Jésus qui me fait cette promesse : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » (Matthieu 28.20).
Le cœur, siège de notre intelligence, de nos émotions, de ce qui constitue notre être le plus profond, se laisse alors habiter par un Dieu non plus inatteignable, mais qui se révèle « au-dedans ». Car n’est-ce pas là déjà ce que le Christ, Dieu fait homme, a initié en venant parmi nous, en incarnant notre chair ? Et le don de l’Esprit saint n’est-il pas le don ultime de Dieu, ou plutôt, de Dieu qui se donne pour être avec nous, en nous ?
Il ne s’agit pas de partir en une quête de soi dans une compréhension narcissique et égocentrique
À la rencontre de Dieu en soi
Partir à la rencontre de Dieu en soi est ce point primordial où la théologie rejoint la réalité de nos existences. En cherchant à développer cette « écologie intérieure », dans la médiation de la Parole et de la prière, en se rendant disponible à Dieu qui m’habite et à son souffle vivant, c’est in fine à Dieu lui-même que je laisse place, pour que, sur le siège de mon cœur, y trône le Roi.
Cette paix tant recherchée, je la trouve à travers ce voyage auquel Dieu m’invite, « être prêt à se perdre, à aller à sa rencontre, dans mon intériorité » pour découvrir le visage de Dieu et sa main qui me guide. La réconciliation, offerte par Dieu en Jésus, est aussi réconciliation avec les autres et avec moi-même. En partant à ma rencontre, je découvre mes limites, ma vulnérabilité, mes obscurités et ma fragilité, tout en y découvrant également la transcendance de Dieu, sa force, son soutien, son omniscience. S’arrêter à ce que je suis serait détourner la quête de son véritable but : connaitre et reconnaitre Je suis, Dieu tout autre, et pourtant si proche, Lui, qui se laisse trouver par celui qui le cherche de tout son être.
La réconciliation, offerte par Dieu en Jésus, est aussi réconciliation avec les autres et avec moi-même
L’écosystème se met alors plus naturellement en place, trouvant son équilibre : je remets au Seigneur mes « déchets » pour qu’il m’aide à produire des « fruits » ; je lui remets ma fatigue, ce qui me préoccupe, pour qu’il renouvelle mes forces et mes pensées et qu’il me fasse part des siennes ; je lui confie mes relations difficiles avec mon prochain et moi-même pour être plus respectueux des autres et de moi-même. Car être bien avec soi, n’est-ce pas avoir des relations saines avec les autres, avec ce qui m’entoure, avec cette terre dont Dieu me demande de m’occuper ? Ne suis-je pas appelé à prendre soin de mon « jardin intérieur » pour saisir comment prendre soin, garder et cultiver ce que le Seigneur me confie, y compris moi-même ?
C’est bien en me laissant pénétrer de Sa propre lumière que je peux devenir à mon tour lumière et sel de la terre. Jésus le dit ainsi, « celui qui croit en moi, comme dit l’Écriture, “des fleuves d’eau vive jailliront de son cœur” » (Jean 7.38). Lui, la source de qui mon être entier tire sa croissance, fera jaillir de mon propre cœur « des fleuves d’eau vive », source de bénédictions.
[1] Colloque qui a eu lieu à l’Institut catholique de Paris (ICP) du 22 au 24 février 2021, inter-églises et inter-dénominationnel, intitulé « Responsabilités chrétiennes dans la crise écologique ».
[2] Tiré de sa contribution intitulée « La crise écologique comme crise spirituelle du rapport à la limite ».
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