Point-Théo : Bonjour Erwan Cloarec. Vous venez d’être élu président du Conseil national des évangéliques de France (CNEF) en Assemblée plénière (le 7 juin 2022). Vous succédez alors au pasteur Christian Blanc, des Assemblées de Dieu, qui était président du CNEF depuis 2019. Est-ce que vous pouvez nous rappeler en quelques mots ce qu’est le CNEF ?
Erwan Cloarec : Le CNEF demeure un jeune mouvement, une jeune institution, qui vient tout juste de fêter ses dix ans d’existence. C’est d’abord pour moi un grand mouvement d’unité que Dieu a permis pour notre pays. Lors de mon discours inaugural en tant que nouveau président, j’ai tenu à rappeler les trois dimensions fondamentales que le CNEF porte, et qu’il est appelé à approfondir. Premièrement le CNEF est un corps spirituel, une expression de l’unité que Dieu nous donne en Jésus-Christ, et nous devons toujours célébrer cette dimension, en prendre soin, la chérir. Deuxièmement, le CNEF est une force institutionnelle. On l’a vu lors des deux dernières années par la manière dont le CNEF a réagi à la crise Covid par exemple (rédaction de guides pratiques), mais aussi par ses prises de paroles publiques, ses plaidoyers réguliers pour la liberté d’expression, etc. Ce support institutionnel est une chance pour nos Églises, un atout pour l’accomplissement de leurs missions. Troisièmement, le CNEF existe pour inspirer un élan missionnel dans notre pays, en encourageant les unions d’Églises, les Églises et les œuvres à entrer dans une dimension missionnelle réaffirmée, à l’échelle nationale et l’échelle des territoires. Ensemble en Christ pour la mission. C’était le sens de l’Assemblée plénière que nous venons de vivre.
Le CNEF est un corps spirituel, une expression de l’unité que Dieu nous donne en Jésus-Christ.
Point-Théo : Et en quoi consiste la fonction de présidence du CNEF ?
E.C. : Être président du CNEF, c’est deux choses fondamentalement. Tout d’abord, le président est responsable d’animer la gouvernance du CNEF et il assure à ce titre la responsabilité ultime de l’orientation et de la marche du CNEF telle que définie par l’Assemblée plénière et le Comité représentatif. En lien étroit avec le Directeur général du CNEF, il supervise l’ensemble des activités du CNEF. Deuxièmement, le président est attendu sur une fonction de représentation, à la fois en interne (auprès de ses membres) et en externe (auprès des autorités et des médias).
Point-Théo : La présidence du CNEF, c’est un poste à mi-temps, c’est bien ça ? Quelles seront vos autres fonctions en parallèle de celle-ci ?
E.C. : Presque. La présidence est une fonction prenante qui est indemnisée à hauteur de 30 %. Ce qui se justifie par le fait que le président est appelé à une certaine prise de hauteur, à ne pas avoir toujours le « nez dans le guidon », et être ainsi un vis-à-vis aidant pour les permanents à l’œuvre. À côté de cette responsabilité de président du CNEF, j’aurai deux charges complémentaires. Je demeurerai directeur de l’École pastorale de Massy, poste que j’occupe déjà actuellement, et je vais également rejoindre l’équipe pédagogique de la Faculté libre de théologie évangélique (FLTE) à partir de la rentrée prochaine sur une charge d’enseignement en théologie pratique et de suivi des stages.
Point-Théo : Erwan, vous avez 42 ans. Quel a été votre parcours jusqu’à cet appel à la présidence du CNEF ?
E.C. : Après une maîtrise en droit, j’ai roulé ma bosse dans le monde des œuvres évangéliques, pendant six années, d’abord à la Maison de la Bible comme libraire puis à Agapé France comme équipier. Une période que j’ai beaucoup apprécié et au cours de laquelle j’ai beaucoup appris. J’ai ensuite poursuivi un Master en théologie à la FLTE. Je suis depuis une douzaine d’années pasteur de la Fédération baptiste (Feebf). En parallèle de ce ministère pastoral, j’ai développé un ministère d’écriture et de réflexion théologique qui m’a conduit à prendre en charge la direction de l’École pastorale de Massy. Cette part théologique est importante pour moi. Elle nourrit ma pratique de manière fondamentale. Enfin j’ai aussi développé toutes ces années un ministère d’unité, ayant à cœur la question des relations et de l’unité entre les Églises, notamment en tant que délégué départemental du CNEF depuis 2013.
Point-Théo : Jusqu’alors vous avez donc été pasteur de la Fédération des Églises évangéliques baptistes de France (Feebf) et vous exerciez ce ministère à Lyon. La présidence du CNEF, c’est un travail, un ministère, qui s’inscrit plutôt en continuité ou en discontinuité avec le ministère pastoral ?
E.C. : C’est une excellente question. Régulièrement on m’a demandé ces derniers temps si le ministère pastoral allait me manquer… Et j’aime répondre que je ne vais précisément pas le quitter. La présidence du CNEF et les autres missions théologiques à côté s’exercent pour moi en pleine continuité avec le ministère pastoral. C’est en tant que pasteur et théologien que je veux être président du CNEF, pour le service de l’Église de Jésus-Christ. Si l’échelle de l’exercice change, sa nature et son cœur ne varie pas.
C’est en tant que pasteur et théologien que je veux être président du CNEF.
Point-Théo : Quels sont d’après vous les défis et les chantiers du monde évangélique français pour les années à venir ? Et quelle est votre vision, ou vos projets, pour relever ces défis ?
E.C. : Les chantiers et défis sont nombreux. J’en évoquerai quatre, succinctement.
Le défi missionnel d’abord. Que signifie être témoin de l’Évangile de Jésus-Christ dans un monde postchrétien. Le CNEF veut être acteur de ce sujet, en travaillant et inspirant une vision missionnelle fédératrice et contextuellement pertinente pour nos Églises et nos œuvres. Dans une première étape, et ce n’est que le début du travail, le CNEF a voulu affirmer sa vision missionnelle en ces mots : « promouvoir le témoignage de l’Évangile en paroles et en actes, partout et dans toutes les sphères de la société, notamment par l’implantation d’Églises. ». L’année qui vient va être consacrée à ce sujet : penser, inspirer et déployer cette vision d’ensemble.
Le défi vocationnel ensuite. Le CNEF a pris ce chantier à bras le corps récemment en organisant les Assises de la formation (en mars 2020 et en avril 2022), avec cette préoccupation des vocations de demain. Ce travail a permis une prise de conscience : si nous voulons pourvoir aux besoins des Églises en prenant en compte les départs des baby boomers, et pourvoir au besoin d’implantation d’Églises nouvelles, il va falloir susciter, accompagner, former des vocations, notamment pour servir l’élan missionnel que nous voulons impulser dans notre pays. Le CNEF a identifié qu’il nous faudrait susciter au moins mille vocations dans les dix années à venir à l’échelle de nos Églises protestantes évangéliques pour pourvoir à ces besoins (et plus encore en prenant en compte les besoins d’implantations). Il nous faut nous retrousser les manches pour agir dans cette direction.
Le défi ecclésiologique, troisièmement. En lien avec le point précédent, j’observe une poussée de réflexion dans les différents milieux évangéliques sur la question de la dimension translocale de l’Église, et d’une manière plus dynamique et moins cloisonnée de vivre des complémentarités et des solidarités ministérielles à l’échelle locale, régionale voire nationale. Les générations X, Y et Z nous questionnent et nous stimulent dans ce sens. Dans un paradigme ecclésiologique évangélique globalement congrégationaliste, cette réflexion est un défi, mais un chantier stratégique à penser ensemble, dans le respect des ecclésiologies propres aux unions d’Églises.
Le défi de l’interculturalité enfin. Comment vivre et mieux vivre l’enjeu interculturel dans nos Églises et entre nos Églises. Sous cette notion d’interculturalité j’entends le défi de l’intégration de ce qu’on appelle parfois les Églises issues de l’immigration. Le CNEF souhaite être une passerelle pour intégrer ces Églises de la diversité qui ont beaucoup à apporter en terme de dynamisme, notamment dans l’élan missionnel que nous souhaitons déployer.
Point-Théo : Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans ces perspectives ?
E.C. : Ce qui me passionne et me plaît le plus, non sans lien avec le ministère de pasteur et théologien dont je parlais tout à l’heure, est vraiment d’accompagner et d’aider ce collectif qu’est le CNEF, dans cette nouvelle saison, à mieux penser, approfondir et vivre son identité, et déployer sa vision missionnelle pour la bénédiction de notre pays. Et me rappeler que Dieu prend plaisir à nous voir rassemblés dans ce mouvement. C’est une grande joie pour moi de servir cela.
Point-Théo : La Fédération protestante de France (FPF), renouvelle également son bureau cette année. Comment est-ce que vous envisagez les relations avec cette institution ?
E.C. : On est effectivement cette année à un carrefour quant aux relations entre nos deux instances, avec un renouvellement quasi intégrale des équipes de leadership. On anticipe du côté du CNEF avec confiance les relations à venir avec Christian Krieger et Jean-Raymond Stauffacher (respectivement futur président et futur secrétaire général de la FPF). Des relations sont d’ailleurs déjà engagées de mon côté avec le pasteur Krieger que je ressens comme étant un partenaire de dialogue loyal, franc, désireux d’établir de bonnes relations avec le CNEF. C’est prometteur.
L’un des défis devant nous dans cette nouvelle saison pour le CNEF va être à la fois de développer la parole publique du CNEF et son existence propre, et dans le même temps d’établir des relations constructives et de bonne intelligence avec le partenaire qu’est la FPF. Je suis confiant dans le fait que nous parvenions à relever le défi.
Point-Théo : Une anecdote plus personnelle pour terminer. J’ai cru comprendre qu’un cantique régulièrement chanté dans nos Églises avait été écrit par votre arrière-grand-père, c’est bien ça ?
E.C. : C’est exact. Et l’histoire de ce cantique est intéressante, au-delà de la question familiale. Mon arrière-grand-père (Hector Arnéra) a écrit tout un tas de cantiques, mais son tube principal est Oh ! prends mon âme, qu’il a écrit au début des années 1940, pendant la Seconde guerre mondiale. Il a entendu un soir dans le désert algérien l’air d’Haktivah et il a été touché. Il a écrit les paroles du cantique sur cet air, avant que celui-ci ne devienne l’hymne de l’État d’Israël quelques années plus tard. Et au-delà de nos Églises, ce cantique a été popularisé à l’international par la Communauté de l’Emmanuel, et traduit dans beaucoup de langues. Il a récemment été repris par Kendji Girac, en version réarrangée (plus de deux millions cinq cent milles vues sur Youtube). Toute une histoire !
Note de l’éditeur : pour lire le discours d’Erwan Cloarec lors de l’Assemblée plénière du CNEF du 7 juin 2022, cliquez ici.
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