Pourquoi y a-t-il des mots entre [crochets] dans nos Bibles ?

Pourquoi y a-t-il des mots entre [crochets] dans nos Bibles ?

Les mots, phrases, ou même parfois passages entiers entre crochets dans nos Bibles sont-ils « bibliques » ? Peut-on prêcher dessus ? Peut-on fonder une doctrine ou une éthique dessus ? Ces questions intéressantes vont nous permettre de continuer d’aborder la question des textes hébreu, araméen ou grec qui se « cachent » derrière nos traductions en français (réflexion déjà abordée récemment dans « Traduit d’après les textes originaux », really ?).

Les crochets dans l’Ancien Testament

Sauf erreur de ma part, il n’y a pas de traduction de l’Ancien Testament en français qui recoure aux crochets. En fait, le sens des crochets dans nos Bibles est le suivant : il s’agit d’indiquer au lecteur qu’un mot ou un passage est absent de certains manuscrits, en général absent des meilleurs manuscrits. C’est donc le fruit d’un travail de critique textuelle.

La critique textuelle consiste à reconstruire un texte le plus proche possible du texte original à partir des copies manuscrites dont on dispose. Pour chaque verset qui présente des variantes dans les divers manuscrits parvenus jusqu’à nous, les spécialistes se demanderont, à partir de plusieurs critères, quelle variante a le plus haut taux de probabilité d’être originale (plus d’infos sur la critique textuelle ici).

Pour le Nouveau Testament, ce travail de critique textuelle est très avancé et a donné lieu à l’édition d’un texte grec dit « éclectique », c’est-à-dire un texte que l’on ne trouve tel quel dans aucun manuscrit mais qui s’approche le plus possible de l’original. Il s’agit du Nestlé-Aland (qui en est actuellement à sa 28e édition).

Pour l’Ancien Testament, l’établissement d’un texte éclectique est encore en cours, et pour le moment nos Bibles françaises traduisent grosso modo le Texte Massorétique (le texte hébreu traditionnel), et parfois, lorsqu’on estime qu’elle contient les meilleures leçons, la Septante (la plus vieille traduction grecque de l’Ancien Testament). Dans ce dernier cas, on trouve généralement une indication dans les notes de bas de page, mais le système de crochet dans le texte n’est pas utilisé.

Les crochets dans le Nouveau Testament

La très grande majorité des traductions françaises du Nouveau Testament traduisent donc le texte du Nestlé-Aland. Or, d’après ce texte (et d’après le travail de critique textuelle accompli en amont), certains versets, voire certains textes entiers, n’appartiennent très probablement pas au texte original. Ils sont des ajouts ultérieurs. Les éditeurs de nos Bibles, ne voulant pas recourir à la simple suppression de mots ou phrases qui ont été considérés comme faisant partie du texte biblique pendant des générations de chrétiens (la première édition du Nestlé-Aland, appelée alors seulement Nestlé, date de 1898 ; plus d’infos ici), préfèrent alors recourir aux crochets.

Prenons un exemple. En Luc 22.43-44, alors que Jésus est en train de prier au mont des Oliviers, nous pouvons lire : « Alors un ange lui apparut, du ciel, pour lui redonner des forces. En proie à l’angoisse, il priait avec plus de ferveur encore, et sa sueur devint comme des gouttes de sang tombant à terre. » Il existe un large consensus parmi les spécialistes aujourd’hui pour dire que ces versets n’ont pas été écrits par Luc. Mais comme ils ont été ajoutés très tôt (semble-t-il dès le IIe siècle), les éditeurs modernes choisissent de les conserver entre crochets.

Il y a aussi deux passages relativement longs que l’on trouve entre crochets dans nos Bibles, car ils posent des problèmes de critique textuelle. Il s’agit de la finale de Marc (Mc 16.9-20) et de l’épisode de la femme adultère (Jn 7.53‑8.11).

Concernant la finale de Marc, les spécialistes s’accordent pour dire que le texte n’est pas original. Soit Marc a volontairement décidé d’arrêter son texte de manière abrupte au verset 8, soit la finale originale a été perdue. Dans tous les cas, un scribe qui recopiait le texte a jugé bon d’ajouter les versets 9 à 20, certainement en s’inspirant des finales des autres Évangiles. Certains manuscrits anciens ont aussi une finale plus courte, également ultérieure à l’original, que l’on peut retrouver en français dans la NBS par exemple, ou en note de bas de page de la Semeur d’étude.

Concernant l’épisode de la femme adultère, la situation est légèrement plus complexe. En résumé, certains estiment que le texte est canonique, c’est-à-dire qu’il est un écrit inspiré par le Saint-Esprit et qu’il est donc parole de Dieu, mais qu’il ne se trouve pas à la bonne place. Pour d’autres, on a là un cas similaire à la finale de Marc et l’épisode de la femme adultère n’est pas canonique. Dans tous les cas, tout le monde est d’accord pour dire que ce récit a été assez maladroitement introduit à cette place chez Jean. D’ailleurs, si on lit les chapitres 7 et 8 du quatrième Évangile en « sautant » ce passage entre crochets, on a une histoire tout à fait cohérente.

Le cas de la Bible du Semeur

En plus de mettre entre crochets les textes qui n’appartiennent pas au texte original, les éditeurs de la Bible du Semeur utilisent aussi les crochets lorsqu’il y a une hésitation sur la meilleure leçon d’un verset.

Par exemple, les versets 19b à 20 de Luc 22 ne se trouvent pas dans tous les manuscrits. Les spécialistes de la critique textuelle estiment qu’il est quasiment certain que ces versets appartiennent bien au texte original. Ainsi, la NBS ne les met pas entre crochets, mais la Bible du Semeur le fait, indiquant en note que ces versets manquent dans « certains manuscrits » (et donc pas nécessairement dans les meilleurs). Il faut donc veiller à bien interpréter ces crochets selon la traduction française que l’on a sous les yeux.

Notez aussi que le cas de la Segond 21 est encore un peu différent, puisque celle-ci traduit le Texte Majoritaire, et non pas le texte éclectique du Nestlé-Aland. Pour plus de détails, se reporter à « Traduit d’après les textes originaux », really ?

Que faire avec les passages entre crochets ?

À chacun de se faire sa propre opinion à partir des (bien minces) informations partagées ici, et surtout en continuant de creuser la question. Pour cela, la Bible Segond 21 avec notes de référence (qui est une Bible d’étude) est un bon outil, car elle est celle qui comporte le plus de note de bas de page sur les questions de critique textuelle.

Je crois tout de même raisonnable de ne pas prêcher ou fonder une doctrine sur un passage qui a été mis entre crochets, en tout cas dans une Bible qui ne met entre crochets que les mots dont on est certains qu’ils n’appartiennent pas à l’original (comme la NBS), et exception faite de Jean 7.53-8.11 qui est un cas particulier et qui mériterait un article à lui seul…

Pour aller plus loin

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