“Traduit d’après les textes originaux”, really ?

“Traduit d’après les textes originaux”, really ?

On trouve parfois, dans les premières pages de nos Bibles, une mention du style : « Bible traduite d’après les textes originaux hébreu et grec ». Slogan publicitaire pour attirer l’acheteur en quête de fiabilité, ou information véridique pour le lecteur curieux ? Nos Bibles en français sont bien des traductions, aucun doute là-dessus. Mais des traductions de quel(s) texte(s) ?

« Les textes originaux » : de quoi s’agit-il ?

Les textes originaux (on parle parfois aussi d’autographe ; eh oui, ce mot ne désigne pas que la signature de Beyoncé sur un T-shirt) sont les textes que l’on trouve sur les manuscrits écrits de la main des premiers auteurs eux-mêmes (ou de leur secrétaire). Pour certains livres, plusieurs auteurs sont intervenus. C’est par exemple le cas des livres des Rois ou des Chroniques.

Cependant la notion de texte original, même dans ce cas, garde sa pertinence. On entend alors par là le texte tel qu’il a été édité la première fois, par exemple par un éditeur qui aurait rassemblé toute une collection de récits des annales des rois d’Israël (voir 1 R 11.41). Les annales des rois (et d’autres écrits) ont servi de sources à la rédaction ou à l’édition du texte que l’on nomme Livre des Rois, mais à un moment précis, ces textes ont été sélectionnés, assemblés dans un certain ordre, on y a ajouté des remarques ici ou là, etc. et on a copié et diffusé le résultat final. Ce texte diffusé est le « texte original ». On pourrait faire des remarques similaires pour le livre des Psaumes, des Proverbes, etc.

Le « problème », c’est que l’on ne dispose du texte original d’aucun des livres de la Bible. Pas de panique. Il n’y a rien d’anormal à cela. La situation est la même pour tous les autres écrits de la même période (qui s’étend certainement du XIIIe siècle avant notre ère au Ier siècle après).

Ce dont on dispose, ce sont de copies, tant des livres de l’Ancien Testament, que des livres du Nouveau Testament. Ces copies sont plus ou moins complètes, plus ou moins nombreuses selon les livres, et plus ou moins distantes dans le temps du texte original. Et certains des manuscrits dont on dispose sont déjà eux-mêmes des traductions. Regardons de plus près la situation, d’abord pour l’Ancien Testament, puis pour le Nouveau Testament.

Quel(s) texte(s) servent à la traduction moderne de l’Ancien Testament ?

Je n’ai pas ici la place pour présenter tous les manuscrits, leur type, leur date, etc. Je vais me concentrer sur les textes qui se « cachent » directement derrière les traductions françaises des Bibles que nous avons sur nos étagères, dans nos sacs, dans nos smartphones, etc.

Pour l’Ancien Testament donc, nos Bibles modernes traduisent principalement ce qu’on appelle le « Texte Massorétique », le texte hébreu traditionnel (certains passages sont cependant en araméen). Le plus ancien manuscrit complet (et, en fait, le seul complet) qui comporte ce texte est le codex de Léningrad et il date de 1008 ou 1009 après Jésus-Christ.

Ici ou là, les traducteurs préfèrent cependant traduire la Septante, la plus vieille traduction grecque de l’Ancien Testament (traduite entre le IIIe siècle avant notre ère et le Ie siècle de notre ère ; les manuscrits complets les plus anciens de la Septante dont on dispose datent des IVe et Ve siècles après Jésus-Christ). Lorsqu’ils le font, c’est parce qu’ils estiment que ce texte est plus proche de l’original que le Texte Massorétique.

Quel(s) texte(s) servent à la traduction moderne du Nouveau Testament ?

La grande majorité des Bibles modernes traduisent, pour le Nouveau Testament, la 28e édition du Nestlé-Aland. Qu’est-ce que c’est ? Il s’agit d’un texte grec du Nouveau Testament qui ne se retrouve tel quel dans aucun des manuscrits dont on dispose. C’est la reconstitution la plus probable possible du texte original, à partir de toutes les versions que l’on possède, via les quelques 5500 manuscrits du Nouveau Testament qui sont parvenus jusqu’à nous (seuls quelques-uns sont complets). On dit alors que le Nestlé-Aland est un texte « éclectique ». Lorsqu’il y a des différences entre les textes des différents manuscrits, les spécialistes ont recours à la critique textuelle, qui permet, à partir de certains critères préétablis de choisir la « leçon » (= version du texte) qui semble la plus fidèle à l’original (plus d’infos sur la critique textuelle ici).

La Segond 21, quant à elle, est traduite à partir du Texte majoritaire. Il s’agit du texte grec du Nouveau Testament tel qu’on le retrouve dans la grande majorité des manuscrits. On parle aussi de texte byzantin, à cause de l’origine géographique de cette famille de manuscrits. Le Texte Majoritaire ne se trouve pas non plus tel quel dans un manuscrit existant. Il est lui aussi le fruit d’un travail de critique textuelle (et a été édité pour la première fois en 1982 par Hodges et Farstad). Mais ce n’est pas un texte éclectique car les variantes entre les manuscrits byzantins sont mineures et le Texte majoritaire est donc plus proche de ces manuscrits que le Nestlé-Aland ne l’est d’aucun manuscrit (ce qui ne signifie pas que le Texte majoritaire est plus proche des originaux).

Enfin, la plupart des anciennes traductions protestantes (Martin, Ostervald, etc.) sont traduites à partir du Texte reçu (ou Textus Receptus en latin). D’une certaine manière, le Texte reçu est l’ancêtre du Texte majoritaire actuel. C’est le texte grec du Nouveau Testament édité par Érasme en 1516 (et révisé ensuite au cours du XVIe siècle et au début du XVIIe), à partir des quelques manuscrits byzantins dont il disposait. Hodges et Farsatd, au XXe siècle, ont donc fait un travail similaire à celui d’Érasme, mais avec tous les manuscrits byzantins qui sont parvenus jusqu’à nous.

Il est quand même préférable de distinguer le Texte reçu du Texte majoritaire parce qu’à partir du XIXe siècle et jusqu’à aujourd’hui, certains considèrent le premier comme la véritable Parole de Dieu, le texte sur la transmission duquel Dieu a veillé. Ainsi, la King James Version (en anglais) est traduite à partir du Texte reçu, de même que la Bible de Jésus-Christ (en français), lancée par Shora Kuetu (mais celle-ci n’est pas une traduction à proprement parler, plutôt une révision de la traduction Martin ; plus d’infos ici).

Peut-on alors se fier à nos traductions bibliques ?

À part quelques réserves pour celle de Shora Kuetu, la réponse est sans conteste un grand oui. Et cela pour deux raisons au moins.

Tout d’abord, les variantes entre les différents manuscrits de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament sont, dans une large majorité des cas, d’une importance toute relative, et ne changent pas fondamentalement le message biblique.

Enfin, les hommes et les femmes qui travaillent sur les différentes traductions françaises dont nous disposons aujourd’hui sont des gens compétents, spécialistes de l’hébreu ou du grec et qui travaillent sur la traduction en équipe, et pendant des années.

Donc oui, les traductions qui s’offrent à vous sont fiables. La mention « Traduit d’après les textes originaux », vous l’aurez compris, l’est en revanche beaucoup moins…

Pour aller plus loin

4 Commentaires

  • Max 8 avril 2020 20 h 03 min

    Ai-je raison de penser que l’omission par les traducteurs de mentionner les sources de ce qu’ils traduisent est très discutable ? Par exemple, si je ne me trompe pas, les traducteurs de l’Ancien testament choisissent parfois d’utiliser la Septante (grec ancien donc) plutôt que le texte massorétique (donc hébreu avec voyelles), mais sans en informer le lecteur (ou pas toujours). Or les lecteurs pensent quasi systématiquement qu’ils ont affaire au texte massorétique. Personnellement, je trouve que c’est une information extrêmement importante à souligner et je déplore ce manquement. Car, si à de rares endroits on décide de prendre la Septante, pourquoi ne prend-on pas la Septante concernant les passages qui sont cités dans le nouveau testament ? J’aimerais bien que l’on m’explique quel est l’intérêt supérieur de choisir les textes massorétiques quand on met dans la bouche de Jésus lui-même des passages que l’on retrouve dans la Septante et pas dans les textes massorétiques.
    Je me permets de poser la question ici car ce blog est rattaché à la faculté de théologie où se trouvent des personnes qui ont participé à l’élaboration de la Bible Semeur.

  • Max 16 novembre 2019 23 h 34 min

    Ai-je raison de penser que l’omission par les traducteurs de mentionner les sources de ce qu’ils traduisent est très discutable ? Par exemple, si je ne me trompe pas, les traducteurs de l’Ancien testament choisissent parfois d’utiliser la Septante (grec ancien donc) plutôt que le texte massorétique (donc hébreu avec voyelles), mais sans en informer le lecteur (ou pas toujours). Or les lecteurs pensent quasi systématiquement qu’ils ont affaire au texte massorétique. Personnellement, je trouve que c’est une information extrêmement importante à souligner et je déplore ce manquement. Car, si à de rares endroits on décide de prendre la Septante, pourquoi ne prend-on pas la Septante concernant les passages qui sont cités dans le nouveau testament ? J’aimerais bien que l’on m’explique quel est l’intérêt supérieur de choisir les textes massorétiques quand on met dans la bouche de Jésus lui-même des passages que l’on retrouve dans la Septante et pas dans les textes massorétiques.
    Je me permets de poser la question ici car ce blog est rattaché à la faculté de théologie où se trouvent des personnes qui ont participé à l’élaboration de la Bible Semeur.

  • Trackback: Pourquoi y a-t-il des mots entre [crochets] dans nos Bibles ? | Point-Théo
  • bourget 15 mai 2021 10 h 18 min

    La meilleure version est celle qui nous identifie le mieux..

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