Revisiter la prédication ?

Revisiter la prédication ?

Une nouvelle donne ?

Face à la Covid, dans une période de crise qui a impacté chacun et chacune, les Églises ont fait preuve d’une capacité d’adaptation remarquable. William Hague a affirmé que la COVID-19 a considérablement accéléré les dynamiques et les tendances actuelles. L’homme politique britannique a vu juste ! Le seul exemple de la digitalisation du monde permet de le confirmer. Certes, le processus était déjà bien amorcé, mais il a été particulièrement renforcé par la pandémie, entre télétravail et drive collaboratifs…

Chacun peut aller se servir au grand buffet mondialisé en fonction de ses goûts, de ses attentes, pour pouvoir se nourrir et grandir spirituellement

L’Église n’est pas en reste, puisque bien des communautés, ne pouvant plus se réunir physiquement, sont passées au numérique, profitant du même coup de nouvelles opportunités. Bien des ressources sont maintenant disponibles sur Internet pour les chrétiens évangéliques. Au-delà des ressources locales, chacun peut aller se servir au grand buffet mondialisé en fonction de ses goûts, de ses attentes, pour pouvoir se nourrir et grandir spirituellement.

Pour les prédicateurs, cette nouvelle pratique doit faire réfléchir

Plusieurs crient au consumérisme, s’inquiétant des « départs » de certains membres vers d’autres plateformes, se désolant aussi de voir des superproductions bien plus suivies que leur production locale. Cette proposition multiple a cependant aussi du bon, car les prédications font l’objet d’une quête particulière, indiquant une véritable soif des chrétiens qui peuvent écouter plusieurs prédications dans la semaine. Ainsi de nombreuses Églises ont vu leur chaîne Youtube afficher au compteur bien plus de personnes que les membres habituels. Pour les prédicateurs, dont je suis, cette nouvelle pratique doit faire réfléchir.

Le défi révélé par la Covid

En réalité, la Covid n’a pas créé une nouvelle pratique de consommation, elle l’a simplement révélée. Nombreux sont les sites qui proposaient et continuent de proposer une pensée quotidienne, une méditation régulière ou divers contenus pour nourrir les chrétiens. La tendance s’est simplement généralisée et cela doit d’abord nous réjouir. Il n’y a pas si longtemps, si un chrétien dévalisait la bibliothèque de l’Église à la recherche de cassettes audio de prédications, les responsables auraient sauté de joie… Or, il s’agissait de ressources locales, elles avaient l’aval des responsables de l’Église locale. Ce contrôle qualité est impossible avec Internet. Et c’est ce qui inquiète… Vers quoi les membres vont-ils aller ? Et que vont-ils ramener dans l’Église locale ? Le souci est légitime, mais il doit faire réfléchir.

Si certains se sont rués dans les supermarchés pour faire le plein de pâtes ou autres plats cuisinés, de même une partie non négligeable des chrétiens s’est ruée vers les prêts-à-consommer évangéliques

Plus que de signifier ce qui est bon et ce qui ne l’est pas, le but des responsables n’est-il pas d’équiper les chrétiens pour qu’ils puissent faire eux-mêmes du tri ? Il ne faudrait en tous cas pas infantiliser les chrétiens. De ce point de vue, le premier confinement a été révélateur. Si certains se sont rués dans les supermarchés pour faire le plein de pâtes ou autres plats cuisinés, de même une partie non négligeable des chrétiens s’est ruée vers les prêts-à-consommer évangéliques. Le mouvement a été si important qu’il questionne sur la capacité des chrétiens à se retrouver seuls avec la Bible et à l’étudier par eux-mêmes sans passer par le prêt-à-penser.

L’Église n’est pas un rassemblement de consommateurs !

Il est réjouissant que l’Église soit un lieu de production de ressources spirituelles prêtes à l’emploi, disponibles partout et par tous. Mais l’Église n’est pas un rassemblement de consommateurs ! Elle est un peuple d’acteurs qui veulent glorifier Dieu dans leur quotidien, qu’ils soient réunis ou isolés dans « leur » réalité. Dans cette optique, l’Église doit proposer des prédications qui mettent en réflexion et en mouvement des disciples ; elle ne saurait se contenter d’être un simple distributeur de nourriture à la becquée pour des bébés spirituels condamnés à attendre la fournée suivante du prédicateur.

Rejoindre les chrétiens

La recherche de prédications hors de l’Église peut aussi s’expliquer par un désintérêt pour les ressources locales qui ne semblent pas pertinentes pour certains auditeurs. « La prédication […] est aussi œuvre d’interprétation. Elle est un pont reliant hier à aujourd’hui, là-bas à ici. Un pont dont une pile est solidement fondée dans les Écritures et leur univers, et l’autre tout aussi solidement posée dans la culture contemporaine, afin de s’adresser de façon pertinente aux gens de son temps [1]». Comme Karl Barth le disait, le prédicateur doit penser son message avec une Bible dans une main et le journal dans l’autre. Nos prédications doivent être justes théologiquement, « collées » au texte, expliciter certains détails pour faciliter la compréhension, mais il est aussi absolument nécessaire que les personnes qui reçoivent la prédication soient rejointes par cette Parole, bref que celle-ci soit contextualisée et appliquée au vécu.

Le prédicateur doit penser son message avec une Bible dans une main et le journal dans l’autre (Karl Barth)

Or, cette deuxième pile du pont est souvent négligée. Nos Églises proposent peu de messages sur le monde du travail, ou sur la manière de vivre le quotidien. Elles restent bien souvent focalisées sur la vie d’Église et la spiritualité, induisant parfois – sans le souhaiter – l’idée d’une séparation entre les deux sphères. Or, pour Dieu, il n’y a pas de séparation entre le travail séculier et la sphère sacrée du religieux. Les Réformateurs, Luther et Calvin en tête, l’ont bien formulé en rappelant que l’on ne plaît pas à Dieu par ascétisme ou par retrait du monde, mais au contraire en remplissant son devoir dans la profession où Dieu nous a placés. Luther souligna le caractère de vocation (Berufung) des professions séculières (Beruf), et Calvin construisit une véritable éthique du travail où il valorisait notamment le travail manuel, méprisé par les religieux de l’époque.

Les responsables d’Église doivent s’interroger sur une possible déconnexion d’avec le monde du travail ou des réalités familiales actuelles

L’Église a des choses à enseigner à cet endroit, Dieu nous appelant à vivre à sa suite dans tous les domaines où nous sommes placés, d’une manière qui lui plaise, reflète son identité et manifeste sa gloire. Car bien des questions se posent aux chrétiens, qui consacrent une grande partie de leur temps au travail. Chaque actif sait que le lieu de travail peut être lieu d’épanouissement, mais aussi de stress, de pression. On peut s’y sentir bien ou y sentir tout le poids du péché. Les chrétiens ont besoin d’entendre des enseignements à ce sujet pour pouvoir vivre en Christ dans leur quotidien actif. De même, la réalité de l’émiettement de la famille est négligée. Alors que selon l’INSEE, « un enfant sur trois vit dans une famille monoparentale ou recomposée », l’Église continue bien souvent de parler d’un idéal familial qui ne tient compte que d’une partie de la réalité. Les responsables d’Église doivent s’interroger sur une possible déconnexion d’avec le monde du travail ou des réalités familiales actuelles, très différentes du standard évangélique.

Vers la maturité

La prédication est un aspect essentiel de la mission de l’Église. « Cette proclamation engendre la foi, la construit et l’accompagne vers la maturité (Rm 10.14-17) [2]». La maturité se caractérise par une forme de sagesse, de réflexion personnelle, et donc aussi d’autonomie relative de la pensée[3]. Or, ici et là, il me semble percevoir des concurrences assez malsaines, une sorte de course à qui fera la plus belle prestation et qui aura le plus de vues… Si les chrétiens ne sont invités qu’à « gober » l’enseignement de certains sans prise de recul, sans avoir les moyens de penser par eux-mêmes, on pourrait glisser ça et là vers certaines pentes dangereuses.

La maturité se caractérise par une forme de sagesse, de réflexion personnelle, et donc aussi d’autonomie relative de la pensée

Sébastien Fath a montré que dans les milieux évangéliques où la connaissance biblique et doctrinale est partagée par l’ensemble des membres, « face à l’autorité pastorale, les fidèles disposent d’une solide marge de manœuvre [4]». Des indicateurs tels qu’une forme de culte de la personnalité, la difficulté à développer sa propre réflexion en dehors des références du groupe dans lequel on évolue, l’impossibilité de vivre un débat contradictoire, sont de sérieux signaux d’alerte. La prédication, vécue d’une manière saine, doit permettre au contraire à chacun de se saisir certes du texte, mais aussi des clés pour pouvoir étudier par soi-même, et ainsi favoriser la maturité de chacun et de l’Église.

Conclusion

Le prédicateur est un messager, qui explique la Parole divine, mais qui doit aussi la transmettre. « Il s’agit non pas de parler devant un auditoire […] mais de parler à un auditoire [5]». Le prédicateur est donc appelé non seulement à partager un texte qu’il a compris, mais aussi à s’intéresser aux personnes qui vont l’écouter, en cherchant à comprendre quelles sont leurs préoccupations, leurs questionnements, ce qui doit orienter nécessairement sa manière de construire et de livrer son message.

Il peut être utile de prolonger la prédication par un temps de réflexion commune autour du même texte, dans des groupes plus restreints

Il s’agit aussi d’encourager les auditeurs à développer des habitudes de réflexion sur le texte biblique, et de leur permettre de faire face aux situations du quotidien. Il peut être utile dans cette optique de prolonger la prédication par un temps de réflexion commune autour du même texte, dans des groupes plus restreints. L’exercice est exigeant, mais il en vaut la peine, car il permet à chacun d’apprendre à se ressaisir du texte biblique pour sa propre vie et ainsi de conduire l’Église vers la maturité. Ce faisant, loin d’infantiliser les chrétiens en les orientant vers du consommable « prêt à avaler » sur Internet, l’Église les encourage à être, voire devenir des « Béréens 2.0 », capables de se nourrir et d’approfondir leur foi, tout en évitant les faux-enseignements, les faux-débats et les faux-semblants qui ont libre cours sur le net ou autres réseaux sociaux.

[1] Richard Gelin, « Prédication », Dictionnaire de théologie pratique, Excelsis, Charols, p.543.

[2] Richard Gelin, « Prédication », Dictionnaire de théologie pratique, Excelsis, Charols, p.542.

[3] par rapport à l’Église locale et ses responsables, mais pas par rapport au texte biblique (2 Timothée 3.16)

[4] Sébastien Fath, « La corde raide d’un militantisme sans frontière », dans Études 2005/10 (Tome 403), pages 351 à 361.

[5] Richard Gelin, « Prédication », Dictionnaire de théologie pratique, Excelsis, Charols, p.555.

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