Un voile chrétien ? Lire 1 Corinthiens 11.2-16 dans son contexte

Un voile chrétien ? Lire 1 Corinthiens 11.2-16 dans son contexte

La première lettre aux Corinthiens (chapitre 11) soulève une question qu’on n’associe habituellement pas aux chrétiens : le voile des femmes. Certaines femmes de l’Église de Corinthe, « libérées » par l’Évangile, avaient cessé de porter le voile traditionnel lorsque l’Église se réunissait pour le culte. L’apôtre Paul les exhorte à revenir au voile. Et certains chrétiens en ont déduit que les femmes devaient porter un voile lors du culte, jusqu’à aujourd’hui.

Le problème, c’est que la lettre ne met pas tout le dossier sur la table : elle nous en donne un aperçu, très bref, et suffisant pour que des principes puissent être repérés. Mais les détails manquent. Il faut imaginer ce texte biblique comme une fenêtre entrouverte sur un culte chrétien du 1er siècle, à une époque et dans un contexte bien différents des nôtres.

Le voile… et la mode

Dans une culture donnée, à une époque donnée, les pratiques vestimentaires constituent une sorte de langage, et même un discours, qui parle de classes sociales, de personnalité, de relations avec les autres, etc. Lorsqu’on porte une blouse, une cravate, un piercing, et même parfois une barbe ou telle coupe de cheveux, on dit quelque chose de soi, de son rapport aux autres ou de sa fonction. Mais que communiquaient le voile et plus généralement la coiffure dans la Corinthe des années 50 après Jésus-Christ.

Être femme dans l’Antiquité

Dans l’Antiquité, les femmes étaient en général sous tutelle d’un homme, du père ou du mari, à qui elles devaient s’adresser pour obtenir l’autorisation de faire ceci ou cela. Dans certains endroits et à certaines époques, cependant, les femmes libres et surtout les femmes riches bénéficiaient d’une autonomie nettement plus importante.

Selon les conventions de la société romaine de l’époque, le voile était un marqueur féminin. Il était donc significatif de la condition féminine, le plus souvent inférieure à la condition masculine. Et c’était en particulier les femmes mariées qui portaient le voile : il était donc aussi un signe « marital ».


Le voile était un marqueur féminin.

Idolâtrie ? Immoralité ?

Le voile étant enlevé, la coiffure pouvait devenir à son tour porteuse de sens. Les prêtresses du culte de Dionysos, de Cybèle, de la Pythie, d’Isis jouaient avec leurs cheveux. Faut-il penser que l’apôtre Paul craignait que le culte chrétien ne prenne des formes trop « païennes » ? C’est possible, d’autant que la question de l’idolâtrie apparaît à plusieurs reprises dans sa lettre.

D’autres font le rapprochement avec le comportement de certaines femmes libres de la haute société, qui s’affranchissaient de la tradition et qui étaient connues pour leur immoralité ; les femmes chrétiennes, qui avaient cessé de porter le voile traditionnel, auraient alors envoyé un signal ambigu, suggérant l’immoralité.

Culte et culture

Ces réflexions rappellent la complexité des signaux culturels. Dans certains contextes, nos comportements et nos apparences communiquent un certain message, qui peut faire l’objet d’interprétations divergentes. Lors des rassemblements de l’Église de Corinthe, au 1er siècle, certaines femmes chrétiennes, qui avaient bien compris qu’elles étaient au bénéfice de la liberté de l’Évangile, envoyaient des « signaux » qui semblaient gênants pour certains membres de l’Église, et peut-être aussi pour l’image de l’Église dans le monde environnant. Ces signaux portaient sur les rapports entre hommes et femmes, sur la façon dont les uns et les autres ses comportent en société, mais probablement aussi sur l’identité et l’éthique du groupe chrétien dans le paysage religieux de Corinthe.

Du voile à la tête

Comment Paul répond-il ? En résumé, il dit aux femmes : « oui, vous êtes libres ! » Ce qui est quand même nouveau pour l’époque… « Vous avez le droit de prendre la parole en public, et en particulier d’annoncer la Parole de Dieu. Mais n’oubliez pas que vous n’êtes pas seules. »

Et il utilise l’argument de la « tête »… Dans un texte qui parle de voile et de coiffure, ce n’est pas surprenant ! Le mot « tête » est d’abord employé de façon littérale : la tête qui porte ou ne porte pas le voile. Puis au sens figuré (« tête » est alors traduit « chef » dans nos Bibles). « Tout le monde a une tête », dit Paul en quelque sorte. Si « tout le monde a une tête », alors il n’est possible pour personne de n’en faire qu’à sa tête… Deux « têtes » sont donc en cause : celle qui fait littéralement partie de mon corps et celle qui est à l’extérieur de mon corps. Il y a « moi » et un autre que moi. Si je suis femme, il y a l’homme, mais comme l’homme descend de la femme, il y a réciprocité (v.11-12), et dans tous les cas, il y a le Christ, et Dieu. Dans ce face à face, l’homme et la femme se ressemblent énormément, mais ne sont pas tout à fait identiques.


Si « tout le monde a une tête », alors il n’est possible pour personne de n’en faire qu’à sa tête…

Les conventions culturelles

Pour mieux comprendre, on peut imaginer quelqu’un qui se présenterait à un dîner présidentiel coiffé d’une casquette. Ce comportement serait contraire aux pratiques sociales habituelles ; il attirerait l’attention sur la personne, au lieu de valoriser celui qui invite, et exprimerait un manque de respect pour les autres participants. Paul fait remarquer aux femmes de Corinthe qu’en ne respectant pas les conventions habituelles, elles expriment une absence de respect pour leur vis-à-vis, l’homme.

La société et la culture définissent l’image de la femme, de l’homme, de leurs rapports, selon diverses conventions. L’Évangile n’est pas lié à ces conventions, et il les bouscule, mais il ne cherche pas non plus les complications inutiles…

Les relations hommes/femmes et l’Évangile

Que conclure ? Premièrement, l’Évangile change les choses. Il a donné aux femmes de Corinthe, au 1er siècle, le droit de prendre la parole, pour le service du Seigneur. Elles bénéficient elles aussi de la liberté et de la responsabilité chrétienne. C’est une nouveauté importante. L’Évangile crée des rapports de réciprocité entre les personnes, et met tous les gens, hommes et femmes, à égalité devant Dieu. Mais, deuxièmement, cette égalité est à vivre dans le respect de l’autre, dans le respect de la différence homme/femme, et sans choquer inutilement. Est-ce que porter le voile aujourd’hui communiquerait ce message de liberté et de respect ? Pas sûr…

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