À ta santé, Timothée !

À ta santé, Timothée !

En plein milieu d’un développement sur la rémunération, la discipline et la sélection des responsables d’Églises (1 Tm 5.17-25), Paul invite son disciple Timothée à « prendre un peu de vin » pour sa santé… Une exhortation surprenante que l’on pourrait supprimer sans perdre le fil de la pensée. Elle n’est pourtant pas là par hasard puisqu’elle est attestée, à cet endroit, par tous les manuscrits du Nouveau Testament… Quelques réflexions sur cet étonnant conseil…

Des responsables d’Églises moins que parfaits

À propos de ce texte, le commentateur Ceslas Spicq mentionne un auteur grec, Diosconide, qui décrit bien le mal dont souffrent les « stomachikoi » dont fait partie Timothée : brûlures, vomissements, nausées, spasmes, haleine fétide. Les docteurs babyloniens, égyptiens, grecs et romains, unanimes, parlent d’une fatigue insurmontable, de torpeur, de lassitude générale avec des accès chroniques de faiblesse. Aux « stomachikoi », tous prescrivent du vin, à la fois tonique et remède pour bien digérer. Paul connaît les difficultés de santé qui pèsent sur son fils spirituel et son ministère, et il les prend en compte ! Il porte un intérêt réel à ceux qui travaillent avec lui. Pour ma part, cet exemple me donne à réfléchir.

La santé plus que précaire de Timothée ne le disqualifie pas. Certains, comme le théologien Spicq, font un lien entre les maux de Timothée et l’écharde dans la chair de Paul. Leurs fragilités les obligeaient à dépendre de la grâce de Dieu. Je suis interpellé par la fausse idée répandue que ne peuvent être pasteurs et responsables d’Église que des gens parfaits[1]. Notre texte parle des péchés des responsables, et aussi de la faiblesse de Timothée, qui pourrait présenter une forme de dépression récurrente. Pourtant, c’est lui que Dieu emploie à Éphèse, lui qui est appelé à combattre le bon combat de la foi, lui qui est appelé à tenir ferme pour la gloire de Dieu. Si nous nous sentons faibles et fragiles, la grâce de Dieu nous suffit.

Je suis interpellé par la fausse idée répandue que ne peuvent être pasteurs et responsables d’Église que des gens parfaits

Paul incite Timothée à encourager les responsables. L’imperfection est réelle et inévitable, et la critique facile. Parfois justifiée, d’ailleurs. Paul insiste sur une sagesse qui sait discerner les choses. Surtout, il valorise Timothée, il l’encourage, lui qui devait être parfois malmené en raison de ses problèmes de santé et de sa timidité. Dans quelle mesure les critiques et les remarques blessantes essuyées par Timothée ont-elles aggravé ses maux de ventre ? Paul aussi fut critiqué, il n’était pas un bon orateur, disaient certains, pas assez ceci, trop cela… Rien de nouveau sous le soleil. Être responsable d’Église, ce n’est pas une sinécure !

Les vertus du bon sens…

Selon Gordon Fee, l’expression « Ne boire que de l’eau », répandue dans l’Antiquité, faisait allusion à une vie ascétique qui, par la pureté et la privation, se voulait à la gloire de Dieu. Timothée aurait-il été influencé par les faux docteurs qui prônaient un ascétisme conjugal et alimentaire particulièrement fort ? Paul l’invite à oser agir d’une façon non ascétique, même s’il doit essuyer des critiques, à se confier en Dieu en présentant une vie marquée par l’amour et en ne concédant rien sur la question de la liberté. Si Timothée, responsable dénonçant les faux docteurs, a pu être influencé par leur pensée comme certains le suggèrent, nous ne sommes pas non plus imperméables à notre société et à une certaine vision du monde, alors même que nous en dénonçons certaines dérives. Entre concept de liberté humaniste, relativisation de la morale, primauté de l’économique sur le reste de la vie, foi dans nos ressources personnelles, etc. nous avons du tri à faire à l’écoute de Dieu. Le problème qu’ont vécu Timothée ici, ou encore Pierre en Galates 2 quand il a renoncé à se mettre à table avec des non-juifs par crainte des juifs rigoristes de passage, doit nous interpeller nous aussi.

nous ne sommes pas non plus imperméables à notre société et à une certaine vision du monde, alors même que nous en dénonçons certaines dérives

Notons que Paul n’impute pas à un péché les troubles de Timothée. Il n’affirme pas non plus une guérison systématique. Non, il recommande… la pratique médicinale habituelle qui consistait à prendre du vin, comme nous prenons une aspirine. Il ne manque pas de confiance en Dieu mais valorise les pratiques humaines, non opposées à la foi et la morale (il condamne les excès de vin par ailleurs), qui peuvent aider les humains et que Dieu dans sa grâce commune a permis aux humains de développer. Il y a à cet endroit matière à réflexion pour une reconnaissance de certains accompagnements (relation d’aide, psychothérapie, ou même, osons-le, supervision pour les responsables d’Église) et autres supports médicamenteux. La foi et l’intelligence ou le bon sens ne sont pas antinomiques, contrairement à ce qu’une certaine piété affirme.

La foi et l’intelligence ou le bon sens ne sont pas antinomiques, contrairement à ce qu’une certaine piété affirme

Ayant compris ce qu’est la grâce imméritée de Dieu, je peux considérer l’autre comme un frère, une sœur, blessé lui aussi, fragile lui aussi, mais aimé, tout comme moi. À bien y réfléchir, il est peut-être plus simple de ne pas boire de vin que de vivre ce que recommande l’apôtre dans ce texte de 1 Timothée.

 

[1] Le travail de pasteur perd en même temps un contour bien défini : il doit être enseignant, conseiller en relation d’aide, manager, visionnaire, coach, théologien… La lecture de Ré-enchanter le ministère pastoral, R. Picon, Olivétan, 2007, aide à redéfinir les choses.

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