Un engagement chrétien dans la société (4) : quelle place pour les pauvres ?

Un engagement chrétien dans la société (4) : quelle place pour les pauvres ?

La pauvreté est-elle une question de « charité privée » ? Quelle place la tradition évangélique (plurielle) fait-elle à la question de la pauvreté ? Dans ce dernier volet de notre réflexion sur l’engagement chrétien dans la société, nous abordons le sujet de notre responsabilité face à la pauvreté. Le texte de la NAE (National Association of Evangelicals) sur la responsabilité civique, dont une version substantiellement révisée vient d’être publiée en 2018[1], attire notre attention sur diverses facettes du sujet. Nous dialoguerons avec ce document en nous concentrant sur l’importance de prendre en compte nos décisions personnelles d’une part et la nécessité de changements structurels d’autre part.

Le texte de la NAE, qui affirme son souci d’un engagement civique équilibré, s’efforçant de refléter une vision assez vaste, explique que « parce que Dieu a créé les êtres humains à son image, toute vie humaine porte l’image de Dieu et a une valeur inestimable, de la conception à la mort ». Cela implique un souci particulier pour la protection des vies les plus vulnérables, parmi lesquelles ceux qui se trouvent dans la pauvreté. Le sujet de la pauvreté est en effet l’un des domaines majeurs de l’engagement chrétien au sein de la société. Le texte de la NAE le traite pour lui-même et le mentionne aussi à de nombreuses reprises pour le mettre en rapport avec d’autres questions : le lien entre la protection de la famille et la pauvreté ; le lien entre racisme, discrimination et pauvreté ; les conséquences des changements du climat pour des personnes pauvres ; etc.

Arrêtons-nous ici sur la dualité entre l’action face à la pauvreté qui se joue au niveau personnel et celle qui se joue au niveau structurel.

Décisions personnelles / changements structurels : il faut les deux !

« Nous apprenons par la Bible, par l’expérience et par une analyse sociale que les problèmes sociaux proviennent et peuvent être corrigés de façon substantielle à la fois par des décisions personnelles et par des changements structurels. »

De nombreux chrétiens évangéliques ont mis l’accent sur l’importance des décisions personnelles dans le changement des conditions de vie de ceux qui vivent dans la pauvreté : comme le dit le texte de la NAE, « la conversion personnelle par la foi en Christ et le discipulat chrétien peuvent transformer des personnes brisées en citoyens sains et productifs ». L’histoire des réveils montre que lorsque les conversions ont lieu en nombre, de véritables changements sociaux peuvent se produire. D’autre part, les évangéliques ont aussi plus souvent favorisé le don et l’implication personnels face à la pauvreté, que l’engagement politique.

De nombreux chrétiens évangéliques ont mis l’accent sur l’importance des décisions personnelles dans le changement des conditions de vie de ceux qui vivent dans la pauvreté

Mais comme le souligne le texte de la NAE si « des individus transformés par l’Évangile changent la société environnante, les institutions sociales façonnent aussi les individus ». Nous ne mesurons pas toujours à quel point nous sommes influencés, aidés ou entravés dans notre quotidien par les structures et l’organisation de notre société. Quand, dans la vie sociale, ou dans la façon même dont les lois sont rédigées, les puissants sont systématiquement avantagés, le dommage qui en résulte pour les plus fragiles appelle des réformes structurelles.

Il ne faut donc pas opposer décisions personnelles et changements structurels mais les conjuguer ou les articuler. Peut-être que le texte de la NAE aurait-il pu ou dû approfondir davantage ce qui relève du « déjà » atteignable et du « pas encore » possible à la fois au niveau personnel et au niveau structurel. Les deux ne sont pas symétriques et il faut du doigté (et une solide théologie aussi !) pour savoir faire preuve d’une audace bien placée comme d’un sobre réalisme dans nos initiatives. Nous y reviendrons peut-être dans une publication ultérieure.

Si « des individus transformés par l’Évangile changent la société environnante, les institutions sociales façonnent aussi les individus »

L’individu dans la communauté

Si actions individuelles et recherche de changements structurels sont tous les deux valables et nécessaires, il me semble que l’insistance première de la Bible porte sur les relations personnelles (aimer la personne concrète qui s’appelle mon prochain), le niveau structurel n’ayant d’importance, en fin de compte, que quand il est réellement au service des personnes.

Mais il faut ajouter immédiatement que les personnes concrètes ne sont pas des individus isolés. Le texte de la NAE affirme : « La justice économique inclut à la fois l’allègement des souffrances, la promotion de l’égalité des chances et aussi la restauration d’une situation de plénitude. » Il ajoute que « Dieu veut que les gens aient accès aux ressources productives, afin qu’ils puissent pourvoir à leurs besoins économiques et contribuer à leur communauté. »

Cette mention de la communauté est importante. On peut en effet souligner le caractère d’isolement social et de rupture des relations qui caractérise bien des situations de pauvreté (cf. les terribles constatations de Proverbes 19.4 et 7). En fin de compte, c’est dans la référence explicite au Dieu Créateur et Sauveur qui bénit, qui s’est approché de nous en Jésus-Christ et qui aime restaurer les relations brisées, qu’une participation chrétienne plus pleine au bien de la société commune des humains peut prendre tout son sens pour le pauvre qui en bénéficie. Il nous faut avancer dans cette direction, en sachant que c’est d’abord dans l’Église que des relations restaurées peuvent plus pleinement se vivre aujourd’hui, mais que de réels changements sociaux pour les pauvres sont parfois aussi possibles.

C’est d’abord dans l’Église que des relations restaurées peuvent plus pleinement se vivre aujourd’hui, mais de réels changements sociaux pour les pauvres sont parfois aussi possibles

Conclusion

« Dieu mesure les sociétés à la façon dont elles traitent les personnes vulnérables et sans pouvoir. »

Il y aurait bien d’autres aspects de la réponse chrétienne à la pauvreté sur lesquels nous pourrions méditer à partir du texte de la NAE. Concluons avec cette pensée qui peut nous conduire loin si nous la prenons au sérieux : « Dieu mesure les sociétés à la façon dont elles traitent les personnes vulnérables et sans pouvoir. » Nous pouvons rendre témoignage au Dieu Créateur et à l’espérance du salut en Jésus, en contribuant chacun à notre façon, à ce que les personnes vulnérables dans notre monde soient un peu mieux traitées. Cela fait partie de notre responsabilité civique et de notre devoir chrétien.

[1] Voir http://www.nae.net/for-the-health-of-the-nation/ Les citations entre guillemets sont issues de ce texte et traduites par nos soins.


Cet article vous a plu ? Découvrez les autres articles de la série sur l’engagement chrétien :

Ajouter un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués d'un *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Abonnez vous à notre Newsletter et recevez gratuitement les nouveaux articles par mail